La Trilogie Berlinoise, L’Été de cristal, la renaissance de Bernie Gunther

Philippe Kerr a été à la fin des années 90 puis 2000 ce qu’a été Robert Ludlum (qui a inspiré XIII) aux années 80. Un maître incontesté du polar historique, créateur ou rebatîsseur d’un style qui n’en finit pas de faire des émules (il y a une très bonne trilogie à Hambourg de Cay Rademacher). Avec Bernie Gunther, son personnage bien connu d’ex-flic de la police criminelle allemande devenu privé dans un grand hôtel célèbre L’Adlon à Berlin près de la porte de Brandebourg, Kerr est le premier a refaire vivre le régime nazi au quotidien dès 1933. Dans la Trilogie Berlinoise, on retrouve dans leurs vrais rôles Himmler, Heydrich, Goering, Goebbels en personne. Sans oublier les second couteaux tueur de masse comme Nebe patron de la Kripo, associé au complot contre Hitler et exécuté.

Pierre Boisserie
Pierre Boisserie. Pierre Hybre / Les Arènes ©

Kerr reconstitue, travaille ses décors toujours justes, fignole le fond historique et brille par les enquêtes décalées qu’il confie à Bernie dans L’Été de Cristal, La Pâle figure et Un requiem allemand, les trois titres de la trilogie. Kerr ne triche pas, Bernie n’est pas un héros sans peur ni reproche, il aura sa part d’ombre, noire même, dans les romans qui suivront jusqu’à la mort précoce de Kerr à 62 ans. Faire renaître Bernie Gunther, adapter Kerr pouvait être une catastrophe car son écriture atypique est la base même de son succès, la façon dont il fait vivre Bernie au milieu de ses lecteurs devenus ses otages. On en avait discuté avec Pierre Boisserie dans une interview et (enfin) découvert le premier tome de la Trilogie dessinée par François Warzala, un choix parfait, une ligne efficace, riche, et Marie Galopin aux couleurs. Déjà en lisant Kerr, on était avec lui dans ce Berlin nid de vipères nazies mais si attachante comme ville encore aujourd’hui. On y est désormais visuellement. Boisserie et Warzala ont signé une adaptation où rien ne manque, bien au contraire. Ce qui n’était pas gagné.

L’Été de cristal

1936, Berlin va recevoir les JO. Et les nazis nettoient la ville de leurs affiches antisémites, les SA s’achètent une conduite mais la Gestapo veille au grain. Berlin est sous coupe. Bernie Gunther, ex-flic doué de la Kripo a préféré en partir pour ne pas être sous la coupe de la SS qui a repris la police berlinoise. Après avoir été responsable de la sécurité du grand palace de Berlin, l’Adlon, il a monté son cabinet de détective privé. Enquêteur, il préfère. Il va à la réception qu’organise sa secrétaire Dagmarr pour son mariage avec un officier de la Luftwaffe qui part bientôt pour l’Espagne en guerre. A la sortie on lui demande fermement de venir voir le richissime Hermann Six dont la fille et le gendre ont été assassinés. Le marie s’appelait Paul Pfarr très proche des patrons du parti nazi. Mais pendant le meurtre un coffre a été ouvert, des bijoux volés ce que Six n’a pas dit à la police car Pfarr en cas de décès léguait tout au Parti. Gunther accepte et découvre en partant que l’épouse de Six n’est autre que la très belle actrice Ilse Rudel. Gunther a son bureau sur l’Alexanderplatz où il passe le lendemain matin avant d’aller faire un tour sur les lieux du crime. Restait à discuter avec le légiste mais Gunther a ses entrées à la Kripo.

Un lecteur assidu de Kerr va se retrouver sans souci dans cette Trilogie en BD. Voix off de Bernie, soucis du détail, respect du texte, puzzle qui se met en place en finesse, rebondissements, ambiances dignes de M le maudit, on aurait bien vu un Bogart dans le rôle de Kerr, ce que suggère un peu le crayon de Warzala. Dessous de table, pègre locale, rivalités authentiques parmi les pontes nazis, tout Kerr est là avec un excellent portrait de lui très bien écrit par notre consœur Macha Séry du Monde. Et puis même si ce premier tome de la Trilogie est une histoire complète, il y a les autres à venir. Boisserie aurait terminé l’écriture du tome 2, La Pâle figure avec son tueur en série. Dernier conseil pour ceux, les rares, qui n’auraient jamais lus les romans de Kerr, allez-y, que du bonheur dur certes mais totalement envoûtant, très bien rédigé.

La Trilogie Berlinoise, Tome 1, L’Été de Cristal, Les Arènes, 20 €

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