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Au Bonheur des Dames, roman d’un combat social et amoureux

Agnès Maupré est une auteure que l’on a rencontrée et dont on a régulièrement suivi les très bons albums depuis sa Milady de Winter à qui elle faisait voler la vedette aux mousquetaires. Avec elle, Milady était certes toujours une mortelle aventurière mais aussi une femme trahie qui aurait pu, après tout, avoir un autre destin. La femme est reine chez Agnès Maupré et elle sait comme aucune lui donner la parole. Après le Journal d’Aurore, modèle d’humour concocté avec Marie Desplechin, elle est allée faire un tour chez Zola en adaptant Au Bonheur des dames qui s’inscrit en dix-huitième position dans la saga des Rougon-Macquart. Et même si l’action se passe à la fin du XIXe siècle, dans un de ces grands magasins parisiens qui vont ruiner les petits commerces, il y a dans ce roman une modernité que Agnès Maupré accentue, dévoile avec force, met en exergue à travers une histoire d’amour à la fois passion et sociale bien connue. La femme n’est pas dans Au Bonheur des Dames une victime sans défense, elle sait se battre, se défendre et gagner non seulement son bonheur, souvent à prix d’or mais aussi, sans se trahir ni égoïsme face à celui des autres qui l’entourent. Le dessin d’Agnès Maupré est soyeux, volontaire, direct et superbement expressif. Sortie le 3 juin.

Paris se transforme, s’ouvre aux grands boulevards haussmanniens sur lesquels s’installent des grands magasins. Denise Baudu débarque sans le sou de sa Normandie avec ses frères, le jeune Pépé et l’insouciant Jean, charmeur invétéré. Chez leur oncle qui tient boutique en face d’Au Bonheur des Dames, elle comprend vite que sa seule chance de travailler est d’aller s’y présenter. Son oncle est proche de la faillite et le grand magasin, pour s’étendre, rachète tout le quartier. Denise bien que mal fagotée est jolie. Ce qui n’échappe pas à Octave Mouret le directeur qui l’embauche. Denise, la petite provinciale va devoir affronter les autres vendeuses qui se battent pour approcher les riches clientes. Très vite Denise comprend qu’elle est dans un monde sans pitié et où les femmes peuvent être des jouets pour tous les hommes autour d’elles. Comme sa cousine dont le fiancé fait les yeux doux à une vendeuse d’Au Bonheur des Dames. Où comme la maîtresse de Mouret, belle baronne dont le mari pas si bête, devrait investir dans les travaux du magasin si elle le lui demande.

C’est à un combat à la fois sentimental, moral et social que Zola convie ses lecteurs. Ce qui n’a rien d’étonnant pour l’auteur de Germinal. Denise est un OVNI qui va perdre une bataille, résister et gagner sa guerre. Mais honnêtement, franchement, prête à tout perdre, ne voulant laisser personne au bord de la route. On comprend bien qu’elle sait quand même où elle met les pieds. La Samaritaine, le Printemps, le Bon Marché, autant de noms et de grands magasins qui sont arrivés jusqu’à nous. Faire un roman de leur histoire donne à Zola, une fois de plus, un talent de visionnaire. Le roman d’amour s’inscrit dans une évidente approche du capitalisme, de ses règles et de ses dangers avant la date m^me si on lit le mot socialiste. Agnès Maupré a adapté Zola à sa façon, en appuyant là où il faut. On la suit parfaitement, sans jamais décrocher dans ses dialogues, ses décors flamboyants, sa mise en place, ses cadrages, la galerie de personnages tous très typés, hommes et femmes. Elle déroule le destin de Denise tout en racontant une époque qui finalement ressemble beaucoup à la nôtre.

Au Bonheur des Dames, Casterman, 20 €

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