Idiss, Robert Badinter et tous les siens

Idiss était la grand-mère de Robert Badinter, et le titre de l’ouvrage qu’il lui a consacré mais aussi à sa famille originaire de Bessarabie sous domination des Tsars de Russie. On ne présente pas Robert Badinter, un des très grands hommes du XXe siècle, avocat et qui fit abolir en France la peine de mort. Un homme de courage, de passion, de conviction, de liberté. Idiss est juive et va, pour échapper aux pogroms, partir vers la France en 1912, comme un grand nombre d’immigrés. La suite, c’est Richard Malka qui l’a adaptée en album. On ne présente plus non plus Richard Malka, avocat, homme de conviction finalement dans la lignée de Badinter, défenseur de Charlie Hebdo et scénariste de BD depuis maintenant le début des années 2000 avec L’Ordre Cicéron et Section Financière. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, le dessin en a été confié à Fred Bernard pour qui, avec sa Jeanne Picquigny ou Lady Sir, on a une vraie affection. Un album à la fois biographique sur les origines familiales et la vie de Richard Badinter, tendre, chaleureux, émouvant, bouleversant mais aussi qui fait acte de mémoire car intimement mêlé à l’abomination de la Shoah, donc violent qui oblige à ne pas fermer les yeux.

Idiss

Bien malin qui serait capable de situer la Bessarabie, ancienne province ottomane au bord de la Mer Noire devenue russe. Les Juifs y furent nombreux mais en 1840 tout se dégrade et les persécutions antisémites commencent. En 1890, dans un village près de la Roumanie, Idiss attend le retour de son mari qui est dans l’armée russe. Déjà beaucoup de jeunes Juifs partent pour l’Amérique. Idiss vend ses broderies sur le marché. Elle a deux enfants à nourrir, résiste à toutes les sollicitations mais, pour vivre, s’embarque dans un trafic de tabac trans-frontalier. Elle se met à gagner un peu d’argent mais la police la surveille et sait qu’elle fait de la contrebande. Elle passe un marché avec les douaniers mais son mari revient. Retrouvailles heureuses marquées par une naissance mais Schulim est un mari qui joue et dilapide l’argent du ménage. On est en 1900, on parle dans cette communauté juive pratiquante de l’affaire Dreyfus. La France devient un paradis envié dont rêve les enfants d’Idiss. Les massacres qui touchent la communauté ouvrent la porte à des départs en masse vers l’étranger.

Idiss

C’est une saga au sens le plus strict du terme que la vie d’Idiss. Une femme forte, de tête, bonne et tendre, volontaire, elle va vivre avec bonheur de belles années en France où elle arrive en 1912 et rejoint ses fils. Une vie de travail, en pleine révolution industrielle, de réussite aussi car tous veulent arriver socialement. La fille d’Idiss, Charlotte tombera amoureuse de Simon Badinter. La suite ce sera certes le bonheur mais aussi la guerre, la mort, la déportation, les lois juives d’un gouvernement français indigne.

Richard Malka, Fred Bernard en donnent tout le sens dans les pages, les planches relevées par le trait si chaleureux du dessinateur, adaptées remarquablement du récit de Robert Badinter. On a irrésistiblement envie de lire son livre dans la foulée. Idiss est un exemple. Tout est dit dans l’album, montré, expliqué aussi sur ces années de feu dont les étapes mortelles pour la plupart des membres de la famille Badinter. Les décrets antisémites français sont rappelés en fin d’album. Un récit qui a à la fois la douceur, la tendresse d’un petit-fils pour sa grand-mère et la violence insupportable d’une haine abjecte qui n’a pas disparue.

Idiss, Rue de Sèvres, 20 €

Idiss

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