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Le Dernier Assaut, Dominique Grange et Tardi pour le der des ders

Le Dernier assaut est dans la liste des albums nominés pour Angoulême 2016. Un choix intelligent pour un album atypique et brillant de Dominique Grange et Jacques Tardi. Faut-il y voir le point d’orgue d’une œuvre commencée il y a maintenant trente ans avec un certain Brindavoine la fleur au fusil suivi de C’était la guerre des tranchées et Putain de guerre ? Tardi est le seul auteur à avoir su, bien avant que la guerre de 14 ne s’inscrive vraiment dans la mémoire et la légende collective, centenaire oblige, à en rendre toute l’inhumanité sanglante. Même, malgré tout, si l’évènement reste le plus abominablement fédérateur de l’Histoire de France. Avec Le Dernier assaut, Tardi grimpe une fois encore, la dernière, sur le parapet de la tranchée, dit tout sur le quotidien d’une guerre qui en annonce bientôt une autre. La Der des ders ce n’est pas encore pour cette fois. Il faut lire l’album en écoutant la voix, le chant de Dominique Grange, celle de Tardi qui scandent sur le CD en chansons ou en textes les pages de l’album, la ballade infernale d’Augustin le brancardier.

En 1917, un brancardier, non deux mais pas pour longtemps ramène un mort vivant vers les lignes. Paysage d’apocalypse, dévasté, boursouflé de cadavres, Augustin va perdre son copain. La faute à une bombe à billes boche. C’est la mort, pas la vie dans les tranchées où un capitaine de la coloniale blessé a vu Augustin étouffer le pauvre type allongé sur sa civière. Pour cause de hurlements intempestifs qui pourraient alerter le Boche. Augustin revient sur ces Noirs de la Coloniale qui feront 14, seront considérés comme de la chair à canon, haïs par les Allemands qui en 1940 les abattront souvent sommairement. Il ne se fait plus d’illusions Augustin. Il a rencontré des soldats anglais, les petits Bantams, des coqs de combat, qui font 1m50. On ratisse large chez les Britishs. Mais ce ne sont pas des surhommes les Bantams qui n’ont pas la force des géants. Canadiens, Tommies, Sammies, Italiens, Portugais, Russes, Corps-Francs tous sont au casse-pipe et il continue Augustin à raconter la guerre, les ruines, la mort, les rats, la boue, les gaz et ses officiers qui ne sont pas avares de la vie de leurs hommes. Et les industriels comblés qui fabriquent avions, tanks et casques Adrian à 5 Francs pièce. Côté allemand ce n’est pas mieux mais en plus cadré. Normal.

Pied à pied avec le croquenot qui tente de s’arracher à la boue, Augustin fait le bilan avant l’heure et avec lui Tardi de son crayon sombre et au trait noir. La voix de Dominique Grange double le dessin, l’appuie, le souligne, le transcende, de la complainte des Bantams à celle pour Vauquois. Le duo assène la vérité, la montre, l’écrit pour un dernier acte qui vient conclure une longue route. Pas de vainqueurs, tous perdants et un traité de Versailles qui va en remettre une couche histoire de se refaire une autre vingt ans plus tard. Écrasant et nécessaire. Merci Dominique Grange, merci Jacques Tardi.

Le Dernier assaut, Casterman, 23 €

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