Interview : Dimitri Armand sur les traces d’un Convoyeur impitoyable mais très efficace

C’est l’un des titres phare de cette reprise éditoriale pré-estivale, confinement oblige. Avec Le Convoyeur, les éditions du Lombard ont donné à Dimitri Armand et au scénariste Pierre Dubois carte blanche pour une aventure post-apocalyptique un brin western steam-punk qui déménage. Le Convoyeur est un héros cavalier au passé trouble, obstiné, mystérieux, aux yeux rouges dans un univers dévasté par la rouille, surnom d’une saloperie qui détruit le métal et provoque des mutations génétiques abominables. Dimitri Armand, après deux westerns classiques qui ont fait date, est passé à un autre registre. Il s’en explique dans cette interview donnée à ligneclaire.info, revient sur ses débuts, ses influences et parle de ses projets, en toute liberté. Le Convoyeur a un petit côté Mad Max revisité, puissant et enlevé, diablement efficace. Le dessin est à la hauteur du propos. Sortie de l’album le 24 juin 2020 et début juin publication de la version spéciale noir et blanc. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC

Dimitri Armand
Dimitri Armand. Photo Pierre Emmanuel Prost / Le Lombard ©

Dimitri Armand, vous signez Le Convoyeur. Vous aviez déjà séduit votre lectorat par le dessin de deux westerns, puis avec Bob Morane Renaissance. Vous avez un dessin réaliste qui a une ampleur de belle qualité, une vraie crédibilité. Vous avez changé de scénariste après Pierre Dubois pour Tristan Roulot. Comment êtes-vous arrivé à vous embarquer dans cette aventure post-apocalyptique qui a, quand même, un petit air de western?

Oui, un peu western en effet. C’est grâce à mon éditeur. J’avais rencontré Tristan Roulot à Angoulême. On avait sympathisé et trouvé que ce ne serait pas mal de travailler ensemble sur un projet SF, sans savoir précisément vers où on irait. Le temps a passé. Mais mon éditeur, qui apprécie ce que nous faisons, s’est dit que ce serait bien qu’on arrive finalement à un projet commun. On y a réfléchi avec Tristan et Le Convoyeur est né.

C’est une trame complexe que déroule Le Convoyeur. Dans ce premier tome, vous posez les bases mais évoquez aussi bon nombre de mystères auxquels il va falloir répondre.

C’est ce qui m’a séduit dans le récit de Tristan pour cette première trilogie. Il y a une structure intéressante qui bâtit les trois tomes mais chacun d’eux apporte une histoire qui se suffit à elle-même. Le tome 1 n’est pas vraiment qu’introductif.

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Il y a une histoire qui se conclue mais on sait que le personnage du Convoyeur intrigue, que quelqu’un le suit à la trace. Quels pouvoirs a-t-il ? Que veut-il ?

Tout à fait. Tout se mêle dans son parcours. On en saura plus dans le tome 2.

Comment avez-vous fonctionné avec Tristan Roulot ? Il a écrit le scénario de son côté ? Vous y avez participé ?

Pas vraiment. Au départ, on partait sur un projet plus SF, plus propre, plus clean. On a discuté pour créer un univers noir, déchiré, organique graphiquement. J’ai contribué à l’orientation du projet mais c’est Tristan qui a tout écrit.

Le Convoyeur
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Même sur les détails physiques des personnages très atypiques ? C’est de la SF oui et non. Une épidémie, une sécheresse, c’est presque plausible désormais tout en étant aussi un grand roman d’aventures ? Comment avez-vous conçu le graphisme des personnages ? Roulot les a décrits en détails ?

Oui, c’est une aventure à l’ancienne en tout cas avec des codes propres au roman de ce genre. Tristan me donnait une description très basique. Pour le Convoyeur, il m’a parlé de lunettes, de yeux rouges, son cheval aussi aurait ce regard. Sur les autres personnages, le clan de Cendre par exemple, c’était un peu comme un groupe de bikers, avec des tatouages autour des yeux et des mutations physiques. Ensuite c’est moi qui ai fait toute la recherche graphique.

C’est pour cela que je vous parlais de western. Il y a la cavalier solitaire, le bar, le méchant chef de bande, l’héroïne.

Le Convoyeur, c’est effectivement un héros moustachu sur un cheval donc avec des reliquats de western. C’est un univers très vaste qui permettra d’aller plus loin. Cela dit il faudra qu’il y ait, après la trilogie, une possibilité nouvelle de suite qui se dégage pour que je ne m’ennuie pas.

Le Convoyeur
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Vous travaillez de quelle façon avec votre scénariste ? Il vous a livré le scénario complet ? Par tranches ?

Complet. C’est le premier album pour lequel je fais tout le story-board d’une traite. Tristan m’a fait ensuite des suggestions. Libre à moi d’en tenir compte et ensuite j’attaque les pages. Je travaille à l’encre car j’ai un vrai amour pour la page traditionnelle. J’incorpore l’informatique pour les étapes où ça peut m’aider. Mon crayonné est sur tablette pour ajuster cadrages, dessins. Je n’ai pas à gommer, refaire. J’imprime ensuite au format de ma page et sur table lumineuse, je fais mon encrage sur papier « à l’ancienne ». Je scanne après et fais la couleur à l’ordinateur. Sur Sykes, j’avais fait de la couleur directe mais c’était très contraignant techniquement.

Quelles sont vos influences BD ? Vous dites aimer Marini, Lauffray.

Avant tout, j’ai une passion pour le dessin. Plus jeune, je recopiais ce que je voyais dans les dessins animés, Disney, les mangas du Club Dorothée. Petit à petit, je me suis mis à lire de la BD classique, les Astérix et les Lucky Luke de mon frère. Après, parmi celles qui m’ont influencées, il y a eu Lanfeust. Je recopiais et j’ai appris comme ça. Au moment de mes études supérieures j’ai découvert des dessinateurs comme Marini avec Rapaces, Lauffray, Benoit Springer, Alex Alice dont j’ai lu tardivement Le Troisième Testament.

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Vous avez fait Salamandre, Angor et ces deux westerns qui ont marqué, Sykes et Texas Jack. Il y a d’autres genres que vous aimeriez aborder ?

Oui. Cela dépend de mon dessin, il m’oriente car j’aime faire du dessin grand public, aventure et action. Mais à terme, j’aimerais faire des albums plus personnels avec des problématiques de fond, actuelles, comme le féminisme.

Dans un environnement contemporain ?

Par forcément. J’essayerais de prendre un univers qui me parle comme la SF mais où je vais glisser des questionnements personnels. Mais il faudrait que j’écrive moi-même. A chaque fois aujourd’hui je change d’univers. Le Convoyeur, c’est du post apocalyptique, avant j’ai fait du western, puis du contemporain avec Bob Morane, de la fantasy chez Soleil avec Angor. J’aime bien avoir à trouver, sur un projet, de nouvelles marques. Avant Bob Morane, je n’aurais pas pensé faire du contemporain mais le scénario m’avait séduit.

Avec ce Convoyeur, vous êtes dans une ligne logique qui vous correspond. Vous avez d’autres travaux en cours ?

Non. J’ai théoriquement un nouveau western avec Dubois mais il faut que j’avance Le Convoyeur avec un album par an. J’aimerais faire un troisième western avec Dubois. Cela constituerait une trilogie avec Sykes et Texas Jack.

Le cinéma vous a aussi influencé ? Vous avec des pages dans Le Convoyeur très typées. Très cinématographiques en cadrages.

Oui, le cinéma comme les séries TV. J’ai oublié tout à l’heure de citer comics et mangas dans mes influences. Quand j’attaque un projet, je ne vais pas me plonger dans des films qui y ont trait. Quand j’ai fait Sykes, je n’ai pas revu de westerns. Je veux rester dans une création pure, avec ce que j’ai en tête. Ensuite, au fil de ma progression dans l’album pourquoi pas regarder un western.

Vous parlez de problèmes religieux, de sauvegarde de la race humaine, de mutations, d’évolution, c’est un mélange de plusieurs pistes que l’on suit dans Le Convoyeur ?

Tout à fait et c’est clair dans notre esprit. Dans la suite, on sera assez longtemps avec l’Église, les Incinérateurs. On s’attend dans le tome 1 à des évidences comme avec les cannibales qui pourtant ne le sont pas vraiment. Ils ont leurs codes, comme nous dans notre société actuelle.

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Il y a aussi un côté Alien. C’est compliqué de faire une BD comme ce Convoyeur ?

Non. Au contraire, c’est plus simple pour moi que Bob Morane où il y avait de vraies rues, des voitures. Avec moins de marges de manœuvres. Moins carré. Dans le Convoyeur, il y a des monstres et je peux vraiment laisser aller mon imagination. Avec les Fonges, des monstres qui attaquent le camp ou est le héros, on comprend que les films Alien m’ont marqué.

Il y a de l’angoisse au fil de vos pages pour le lecteur. On monte en puissance

Je suis content que vous l’ayez ressenti comme ça. Mais il faudrait en reparler après le 2 et le 3 car je ne veux pas en dire plus. Dans l’écriture la construction du tome un amène des points importants pour les autres albums. La force du premier, c’est de donner envie de lire le deux. Je l’espère.

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