Des Carnets Secrets qui ne le sont plus vraiment, cela aurait été dommage. André Juillard en a dévoilé un certain nombre dans un recueil paru chez Maghen où avait déjà été publié Entracte sur ses travaux en BD. Avec les Carnets (2004-2020), on découvre un André Juillard plus intime qui se livre, libère bon nombre des facettes de son talent en dehors du cadre réducteur de la BD. Il fallait pouvoir en parler avec lui ce qu’il a accepté. André Juillard est revenu sur la génèse de ses Carnets uniques, à la grande sensualité, dont le destin n’était pas d’être publié. Il annonce aussi son prochain et dernier Sept Vies de l’Épervier, un Blake et pourquoi pas une suite française à Double 7. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.
André Juillard, qu’est-ce qui vous a poussé ou à déclenché l’envie de publier vos carnets ?
Ce n’est pas moi. C’est mon éditeur, Daniel Maghen qui a mis en œuvre tout cela avec Vincent Odin. On en avait parlé, je lui en avais montré quelques-uns et puis il voulait faire un autre livre après Entracte paru il y a quelques années.
Mais Entracte répondait à une autre démarche ?
Oui, c’était plus un ouvrage qui retraçait ma carrière, mon travail de dessinateur de BD, des dessins issus de mes cartons. A l’époque, je ne lui avais pas montré tout ce que je pouvais faire par ailleurs.
Vous aviez surtout des travaux préparatoires sur feuilles libres que je connais pour certains. Mais les Carnets quand les avez-vous commencés ?
Il y a une vingtaine d’années.
Ils correspondent à votre plaisir de jeter sur le papier vos envies du moment, votre inspiration ? Ils sont là dans quel but ? C’est personnel, privé, intime ?
Personnel, oui. Quand j’ai terminé ma journée de travail, de BD, j’éprouve le besoin de faire autre chose. Au cours des années, j’ai fini par avoir un certain nombre de carnets réalisés sans la moindre contrainte.
Il y a une grande part de liberté en effet. Vous dessinez ce que vous voulez, suivant quand même une certaine inspiration ou en raison des endroits où vous êtes ?
Oui, tout à fait. C’est vraiment en fonction de mon humeur du moment, sans plan précis autour de ça. C’est vraiment le plaisir de dessiner, d’explorer des choses un peu nouvelles pour moi.
Cela se voit en effet. On découvre d’autres facettes de vous, des pistes que vous empruntez, parfois surprenantes. Vous vous ouvrez à une grande diversité mais sur des sujets très féminins.
Oui c’était une façon de refaire ce que je faisais quand j’étais aux Arts Décos, les séances avec modèles qui m’ont toujours passionnées. Le corps humain, féminin en vedette.
Dans ce recueil de vos carnets, finalement on est comme le dit votre épouse dans sa préface, un peu à vos côtés, spectateur d’André Juillard en train de dessiner autre chose que de la BD.
Tout à fait. J’ai d’ailleurs quelques carnets ouverts mais en ce moment je n’ai pas franchement le temps de m’y consacrer. Je suis très BD actuellement.
On y reviendra. Dans la préface d’Anne votre épouse, celui qu’elle dit voit dessiner en permanence c’est vous bien sûr. Elle parle de médecine, d’anatomie. Vous auriez voulu être médecin ?
J’ai toujours eu envie de dessiner. Avant d’entreprendre des études artistiques, j’avais envie d’être illustrateur de livres de bibliophile. Mon père en était un et me montrait ses livres, ses nouvelles acquisitions. Et puis en me renseignant, je me suis aperçu que c’était une spécialité quasi inexistante depuis l’après-guerre. Donc je me suis dit qu’être peintre, artiste, ce n’était pas vraiment ce que je voulais. J’avais l’impression qu’en peinture toute avait été fait et ne voyais pas d’évolution possible surtout avec mon dessin très classique. J’ai décidé de faire autre chose et j’ai entrepris des études de médecine. Grosse erreur. Je me suis aperçu que ces études demandaient des capacités de travail très importantes et j’ai laissé tomber. Donc j’ai fait une école d’Arts en essayant de me débrouiller pour vivre de ce métier.
Cette intimité rejoint-elle, dans ces carnets, des instruments de travail ? On retrouve vos héroïnes dans les pages, des attitudes. Y-a-t-il un effet boomerang entre le dessin livré dans le carnet et un retour dans une de vos BD ?
Pas tellement et ce n’est pas mon but. Il m’arrive de reprendre des personnages mais sans plus.
Est ce un exutoire ?
Non, pas du tout. J’avais envie de faire autre chose que ce que je fais toute la journée. Ce n’est pas parce que j’en avais assez. C’était juste parce que j’avais envie de m’exprimer autrement.
Vous allez au fil des pages vers d’autres grands noms de la peinture, Ingres, Kleist, Watteau. C’est au gré de votre humeur ou des lieux où vous êtes ?
A la suite d’une exposition, d’un livre que je viens d’acheter sur un artiste et mon envie d’explorer sa façon de peindre. Oui on peut dire ça.
Avec de rares paysages ramassés dans le Carnet La Hague avec Prévert. Vous êtes quand même très axé sur le portrait, la part académique du corps avec un petite écart vers Giacometti, Helmut Newton.
Newton c’est possible mais je ne m’en souviens pas. Je ne suis pas très fan.
Vous avez des carnets parfois thématiques comme celui des Portraits au dessin très léché.
Cela dépend du support et de comment je commence le carnet. Là, c’était un petit carnet d’aquarelles. J’ai fait un premier portrait, ce qui est souvent le cas et j’ai continué. Des portraits de femmes avec peut-être une petite étrangeté dans la façon de les traiter dans des endroits improbables, plus un cadre noir.
Il y a une part de rêve, d’imagination qui flirte dans un des carnets avec le surréalisme ?
Surréalisme, je n’y ai pas pensé avec ces dessins. J’ai toujours considéré que je n’avais pas d’imagination. Quand je voyais Giraud, Mézières qui savaient créer des univers, je me sentais incapable de faire pareil. Je me suis lancé dans mes petits univers à moi. Sans copier.
Au fait, André, on croise au détour d’un carnet Lee Miller, la photographe muse de Man Ray. Vous m’aviez dit que vous feriez peut-être quelque chose autour d’elle ?
J’ai un peu oublié Lee Miller mais c’est un personnage passionnant. Non, j’ai abandonné. C’est très difficile de dessiner des personnages qui ont existé. Le problème est d’arriver à faire des portraits passables de personnages connus.
Alors je me suis trompé en reconnaissant Liz Taylor dans un des portraits ?
Oui, car ça m’étonne. Liz Taylor je ne vois pas.
C’est dans vos Feuilles de couleur, les yeux, la chevelure.
J’aime bien Liz Taylor mais pas de souvenir.
Ce qui est aussi très marquant c’est le carnet 2008-2012 car ce sont souvent des styles que l’on ne vous connait pas, ces ruines avec ces personnages féminins très statues, des avions.
Oui cela par contre devait être en relation avec ce que je faisais à l’époque pour Mezek.
Il y a un hommage à Mœbius.
C’est le maître de l’imaginaire. Je me laisse aller et me donne un prétexte à dessiner. J’ai commencé ce carnet mais je ne me souviens pas vraiment dans quelles conditions.
La qualité du papier de vos carnets vous incite aussi à dessiner ?
Absolument. Je le dis dans la préface. J’ai une passion pour le papier. Avant de commencer ces carnets j’en avais acheté pas mal non pour l’esthétique mais parce que le papier me plaisait.
Comme celui de Barcelone, un faux livre aux pages vierges ?
Oui, ils décoraient une bibliothèque de l’hôtel où j’étais. J’ai regardé et le papier était superbe. J’ai demandé si je pouvais en prendre un. Ils ont accepté.
On a une large palette de tous vos talents, de vos moyens d’expression par le dessin ?
Oui. Il y a très peu de dessins BD avec un trait noir, des contours. Ce n’était pas mon but qui était de faire autre chose. Pas de les publier non plus.
On ne vous découvre pas mais vous vous dévoilez. Sans être dans Blake et Mortimer.
C’est certain. Ce n’était pas une volonté de partager mon intimité mais finalement…
Hormis ces carnets secrets qui ne le sont plus, où être vous en BD ?
Léna, c’est fini. Je suis en train de travailler sur un album des Sept Vies de l’Épervier avec Cothias qui sera pour moi le dernier. J’ai pris du retard. Je n’ai pas trop le temps de faire autre chose.
Vous m’en aviez parlé mais il n’y a pas de projet pour une suite de Double 7 ?
Après l’Épervier, je m’étais engagé pour faire un dernier Blake et Mortimer. J’ai déjà un scénario bien avancé. Ensuite j’écrirai peut-être un scénario comme je vous en avais parlé, et en effet il y a un projet avec Yann qui serait de reprendre nos personnages de Double 7 et de les envoyer en France pendant la guerre dans la Résistance. Je n’ai pas donné suite au projet historique fantastique que nous avions aussi évoqué.
Cette suite de Double 7 serait aérienne où terrienne ?
Plutôt terrienne mais on aura toujours notre pilote. On en a que parlé pour le moment avec Yann. L’Épervier devrait sortir au printemps et j’en suis à une quarantaine de pages. C’est terminé ensuite je ne vois pas l’intérêt de poursuivre cette série. Je préfère arrêter.
Votre idée personnelle de scénario serait dans le style du Cahier Bleu mais au XVIIIe siècle ?
Oui mais je n’ai pas vraiment idée de ce que je vais faire. Je ne fais pas trop de plans. L’inspiration viendra en cours de route.
On reste alors sur un Blake, avec un Olrik qui devrait être au centre de l’action ? Et la légende du roi Arthur ?
Qui devrait. Oui, aussi. Je vous en avais dit des choses.
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