San-Antonio, si ma tante en avait, Sanlaville repart avec Dard

Autant commencer par là. La la itou, San-Antonio, c’est un vieil ami de jeunesse qui avait su remplacer, par le plus grand des hasards (un père qui l’adorait et Mai 68 où le bahut était closed), Bob Morane et Conan Doyle. Du premier au dernier, tous les San-Antonio y sont passés, dénichés chez un bouquiniste dans leurs livrées souvent d’origine des années 50. Impossible de laisser tomber San-Antonio, le Gros, la Baleine ou Pinuche. Marie-Marie, qui débarque un peu plus tard. San-Antonio racontait aussi l’Histoire de France dans un beau gros bouquin illustré par Dubout, une merveille comme après Le Standinge selon Bérurier. Un vent de liberté, de découverte d’un monde inconnu. Autant dire que voir San-Antonio refaire des bulles sous la plume de Sanlaville pour la deuxième fois, ça interpelle le souvenir, allume la lanterne de la nostalgie en veilleuse et surtout décoince les zygomatiques retendus par le virus vorace.

San-Antonio

Oui, avec San-Antonio et son paternel le génial Frédéric Dard, une institution, on rit, on s’esclaffe, on passe pour un cinglé quand il y a du péquenot aux alentours qui se demande si vous n’êtes pas demeuré de vous marrer tout seul. On oubliait OSS 117 ou Coplan. Cette fois, San-Antonio est en Bretagne, puni dans un trou perdu, Ploumanac’h Vermoh. Faudra vous y faire. Y a pas que le dessin, faut aussi lire le texte et décrypter les clins d’œil. Dard jongle avec les mots, en invente. Encore que pour le dessin, Michaël Sanlaville a un brin joué à l’esthète, glissé du personnage inspiré de célébrités diverses et pas trop avariées, initiales BB, pas Berthe, Brigitte. On prend son temps, on savoure, on déguste, on commence par la chantilly, doucement, on s’en pourlèche les babines neuronales. Et c’est parti mon kiki.

Si ma tante en avait

Avec armes et bagages, sa mère Félicie, le gros Bérurier et madame Berthe, le commissaire San-Antonio a été muté disciplinairement en Bretagne, Ploumanac’h Vermoh à côté de Ratpalamarch’. Il pleut, les mouettes se lâchent et le truand local fait dans le mesquin. Quand on appréhende un vieux saligaud qui propose du matériel porno haut de gamme aux autochtones, surprise repartie, c’est Pinuche en chair et en vieux os reconverti dans le porte à porte pour jouissifs en manque. Le Détritus rejoint la bande au moment même où ça s’agite dans le Landernau. Le nouveau sous-préfet n’est autre que Achille, le Boss, le Vieux, chauve comme un flan à la vanille. Muté lui aussi à la campagne. Mais le hasard, San-Antonio il doute. Une bagarre qui aurait mal tournée, un patron pécheur qui boit la tasse, Tanguy Liauradésome se serait offert le destin à dessein du commandant Jean-Yves Katkarre, breton un peu cuit au Calva. Manquait plus que la jolie Marie-Marie, amoureuse à vie de San-Antonio, pointe le bout de ses fesses qu’elle a charmantes au demeurant, et le tour est joué. Va y avoir de l’affolement et du cadavre garni façon sardine en boite sous le ciel breton qui en pleure un crachin de joie.

Trois couvertures et trois dessinateurs

Si ma tante en avait San-Antonio, Sanlaville en a fait un frère naturel d’Alain Delon. Pas mal trouvé car hormis Gourdon avec les couvertures des bouquins, il a fallu attendre le cinéma pour donner un visage à San-Antonio, de Gérard Barray à Lanvin. Béru, ce sera Jean-Richard, l’excellent Pierre Doris chansonnier et humoriste, et Depardieu. Pour la BD, on fait d’abord dans le prolifique, dans le strip pour alimenter France-Soir au quotidien. Rebelote avec des albums, sept au total, Les Aventures du commissaire San-Antonio, scénarisés par Patrice Dard et Desclez au dessin. On n’en garde pas un souvenir inoubliable, faut le dire. Le tout dans les années 70.

On n’oublie pas, par contre, les couvertures de Boucq qui les dessinera. En 2018, avec San-Antonio chez les Gones ( oui, il est de Lyon le beau commissaire), Michaël Sanlaville se lance dans l’aventure, prend en main l’adaptation, maîtrise son sujet, ne trahit pas Dard tout en apportant sa touche personnelle. Avec ce deuxième album, adapté de Si ma tante en avait paru en 1978, Sanlaville marque l’essai, affirme son univers, ouvre des portes tout en jouant avec talent mais sans prétention superflue dans la cour de Frédéric Dard dont on ne dira jamais assez le génie littéraire. Le dessin est joyeux, ferme et définitif. On s’y croit, on jubile. Une réussite gaie, nerveuse et bouillonnante qui paraît le 10 juin.

San-Antonio, Tome 2, Si ma tante en avait, Casterman, 16 €

Si ma tante en avait

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