Un Américain à Paris en mai 1968, Warnauts et Raives signent un one-shot qui leur tenait à cœur. Jay, jeune photographe US, a été raflé un soir d’émeute. Au poste de Police il raconte à un flic comment il vient de vivre, aussi bien sentimentalement que physiquement ce mois de mai de toutes les passions. Jay a rencontré deux jeunes femmes, Sarah la rebelle mais lucide et Françoise la mystérieuse. On barricade la rue Gay-Lussac, les pavés volent, la Sorbonne s’occupe comme elle peut. La France s’ennuyait, elle se fait peur avant de partir à la plage. Ce qui n’empêche pas de faire la fête, voir l’avenir avec bonheur, philosopher avec Sartre dépassé, et se mettre en grève, CGT oblige. Warnauts et Raives alternent entre reportage très précis sur des bases détaillées et romanesques autour de personnages authentiques. Un album plein de vie, attachant, au dessin toujours aussi fort, qui rappelle aussi qu’au Vietnam, en 68, c’était par contre vraiment la guerre. Une exposition des planches originales de l’album se tiendra du 26 avril au 26 mai à la librairie Bulles en Vrac, Paris 5e. Vernissage le 26 avril à 18h30 en présence de Warnauts et Raives. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC
Sous les pavés qui se passe en Mai 68, c’est un sujet historique avec aussi en toile de fond la guerre du Vietnam. Pourquoi ce choix ?
Raives : Cela faisait longtemps qu’on en avait envie d’en parler et depuis deux ans on écrivait sur le sujet. Et on n’a pas vraiment réalisé que cela allait être le 50e anniversaire de Mai 68.
Eric Warnauts : On voyage ensemble pour des festivals par exemple, on discute tous les deux. On se demande mutuellement les sujets qui nous intéressent et puis il y a souvent un qui sort grâce à ses ambiances et que nous avons envie de traiter.
Donc vous étiez détaché de l’actualité immédiate de l’anniversaire ?
Raives : La preuve, on voulait sortir l’album pour Angoulême et notre éditeur nous a dit non, en mai pour les 50 ans de mai 68. Dès qu’on a commencé à se lancer dans les Temps Nouveaux, on a voulu remonter le cours du XXe siècle. Comme Mai 68 c’était un micro phénomène franco-français, c’était difficile de l’inclure mais on ne pouvait pas ne pas en parler. C’était un moment du siècle important à nos yeux.
Votre héros, Jay, est un jeune photographe américain à Paris qui se retrouve embringué dans les évènements de Mai 68 et va raconter pendant un interrogatoire de police l’histoire qu’il a vécu et ses liens avec les autres personnages.
Eric Warnauts : Le fait que le personnage principal soit américain n’est pas étonnant. La France semblait en 68 en retard par rapport à l’Angleterre ou aux USA. Le pays n’avait pas l’air concernée par les mouvements de l’époque avec en prime la figure tutélaire de De Gaulle, une sorte de grand-père dont la légitimité s’effritait. La France s’ennuyait et voilà, ça arrive. Sans oublier qu’il y avait aussi la guerre du Vietnam dont on parlait beaucoup et contre laquelle les étudiants étaient mobilisés.
Raives : Il y avait aussi toujours la logique des Temps Nouveaux, remonter le temps et les gens ont commencé à nous parler de leur Mai 68. On avait des infos amusantes, différentes et on ne se voyait pas d’inclure notre héros belge dans cette histoire.
Vous décrivez un mélange social intéressant, le fils d’un patron de médecine, une fille Sarah à fort caractère mais pas dupe qui est sa maîtresse, une libération de la parole, une joie de vivre, un mélange de destins qui vont obliger les gens à faire des choix. La France est riche en Mai 68.
Raives : Oui. L’Algérie c’est terminé. Plus de dette, les essais nucléaires, la France est une grande puissance. L’Amérique va prendre ensuite le leadership. Notre personnage Jay est un peu ambigu. Il a vécu plein de chose et il ne dit rien. On va découvrir son passé. Il est un peu brut de décoffrage et il fait le pendant avec la jeune française Françoise.
Il y a effectivement deux femmes dans votre histoire La première c’est celle qui est très libre, Sarah, la seconde que recherche et retrouve le photographe, Françoise, est en fait la meilleure amie de la première. Et puis il y a ce médecin qui a un petit air d’un célèbre acteur français, non ?
Raives : Michel Picolli, c’est vrai, tel qu’on le voit dans Les Choses de la vie avec Romy Schneider. C’est le grand bourgeois type de l’époque. On avait déjà fait ça avec le Congo et Pierre Brasseur. Avec Piccoli j’ai le son de sa voix dans l’oreille et cela m’aide à dessiner.
Eric Warnauts : On n’était pas encore dans une société de consommation en 68. Costard, cravate, duffle-coat, tout le monde se ressemble un peu. Pas de dictature des marques. On n’est arrivé vraiment que maintenant dans une société de consommation à très grande échelle. Et c’est un thème que l’on a voulu aborder à travers notre Sous les pavés. Et des choses que l’on a ressenties ou pressenties en 68 n’arrivent qu’aujourd’hui.
On est en 68 dans une année chargée. L’assassinat de Luther King, de Bob Kennedy, le coup de Prague. Il y a mai 68, les accords de Grenelle et ensuite tout le monde part en vacances. C’est fini. Vous montrez aussi cette ambiance très particulière où en province on a pu croire que c’était la révolution à Paris grâce à la radio.
Eric Warnauts : Oui c’est vrai. Mais c’était circonscrit à un arrondissement parisien. Pompidou a exprès laissé la Bourse sans protection et il y a eu des incidents, ce qui a fait peur aux bourgeois.
Raives : De Gaulle part sans rien dire, c’est une idée géniale. On ne sait plus où il est.
Eric Warnauts : Où est passé le grand-père, panique à bord. Il revient, tape du poing sur la table. On ne serait plus dans le même ordre d’idée aujourd’hui.
On voit bien la dramatisation des évènements, certes très violents, alors qu’il n’y a heureusement pas eu de morts sauf un accidentellement.
Eric Warnauts : Mais personne ne voulait vraiment de cette révolution. Le PC, l’URSS, les socialistes, pas question d’une révolte si ils n’étaient pas à l’origine. Ils ne maîtrisaient pas les groupuscules. Donc, accords sociaux avant tout, on en profite. Pas de place au hasard. Les étudiants… Personne n’a voulu non plus récupérer Nuit debout par exemple.
La documentation est importante car vous reprenez tous les évènements avec un luxe de détails bien sûr authentiques.
Raives : Il faut savoir s’en servir, la placer, l’utiliser avec logique. On s’est rendu compte que les premières affiches n’apparaissent par exemple que le 13 mai. On a été très précis chronologiquement. Les premières manifs c’est Occident, l’extrême droite.
Eric Warnauts : On a trouvé aussi des bouquins inédits.
La rétrospective est historiquement fiable et la partie romanesque crédible. C’est une actualité à l’époque où on voit enfin des images même si l’ORTF censure la télévision qui n’est que d’état.
Eric Warnauts : Oui. Le Vietnam sera le summum pour les images, le Chili également. Par contre on ne verra pratiquement rien sur le Brésil et la dictature.
L’explosion de liberté de Mai 68, qu’en reste-il ?
Raives : Le Vietnam prend le pas très vite sur Mai 68. Nixon est élu et ce sont les grandes opérations, les tractations. On a oublié Mai 68. Aujourd’hui, Il y a les réseaux sociaux où tout le monde donne son avis. Le rapport à l’autre n’est plus le même.
Eric Warnauts : Avec Sous les pavés, on est revenu à un one-shot comme on faisait ce qui nous permet de dire plein de choses sur le sujet. En 201, les rapports hommes-femmes ont changé. Et cela depuis Mai 68. Nous on ne sait pas décrypter comme nos enfants le font quand ils regardent les réseaux sociaux. Mais par contre ils sont visés par les marques. On n’est plus dans la même logique qu’en 1968. Tout a bougé. Guy et moi on est arrivé avec la génération punk, no future. On en voulait aux soixante-huitards d’avoir oublié beaucoup de choses en dix ans. Après eux le déluge. Ces gens-là sont où ont été à la tête de pas mal de choses. On a gonflé médiatiquement Mai 68. Krivine disait qu’il y avait 10% des gens dans les amphis qui comprenaient ce qu’il racontait. Et 5% motivé.
La politique dans les lycées et à la fac, c’était une nouveauté.
Eric Warnauts : Oui. Mais comment étudiants et ouvriers pouvaient fusionner quand on voit la dialectique de l’époque, le décalage ?
Raives : Ils chantaient des chansons révolutionnaires. Une forme d’intégrisme réducteur. La France a eu peur, c’était bien joué. Ces groupes d’étudiants qui voulaient rejoindre les ouvriers ont été repoussés. Pas question qu’il y ait une prise de pouvoir non programmée par les politiques, les partis.
Et votre après Mai 68, ce sera quoi ?
Réponse à deux voix : Un polar années cinquante aux USA. Il nous faut un peu de repos. C’est lourd un one-shot, plus qu’une série. On a une autre idée de one-shot, une histoire d’amour et deux points de vue différents mais on se cherche un peu. Avec le polar par contre, on retombe dans ce qu’on adore avec le jazz, les lieux qu’on aime, New-York, Harlem. On a fait les six premières pages et on a la trame totale.
Sous les pavés, Signé Le Lombard, 16,45 €
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