L’Âme au bord des cheveux, une auto-biographie bouleversante

Le régime des Khmers Rouges a été une ignominie. Le peuple cambodgien a été massacré à partir d’avril 1975 par ceux mêmes de ses concitoyens qui disaient le libérer. L’Occident a en son temps accueilli sourire aux lèvres ces Khmers Rouges avec à sa tête Pol Pot. 1,7 million de mort, 20% de la population cambodgienne de l’époque. Un panier de crabes idéologique, politique dans une Asie du Sud-Est où Vietnamiens du Nord, Américains qui évacuent le Vietnam, Sihanouk, vont tirer les ficelles. Un jeu mortel et de dupe que Séra, auteur franco-cambodgien a vécu et qu’il restitue dans une remarquable auto-biographie, L’Âme au bord des cheveux, expression de la langue khmère qui signifie être mort de peur. Le travail de Séra est en tout point remarquable car il replace l’arrivée au pouvoir des Khmers Rouges dans la réalité des années soixante, en sachant que déjà pendant la guerre d’Indochine française ils ont vu le jour au bénéfice des Vietminh. Un album intelligent, émouvant, qui s’impose comme incontournable sur un sujet que l’on a aujourd’hui non pas oublié mais mis de côté.

L'Âme au bord des cheveux

18 mars 1969, comme le montre Séra dans la carte qui ouvre les 176 pages de son bouquin, les Américains vont bombarder au Cambodge et au Laos les Vietcongs et les forces du Nord-Vietnam qui s’y cachent. Sihanouk était viré et la Cambodge devenait un des pions de la guerre du Vietnam. Rappel d’un des thrillers de Gérard de Villiers avec son héros SAS, Roulette cambodgienne. Les Khmers Rouges sont face à l’armée gouvernementale en 1974. Les USA espèrent jouer les médiateurs et réconcilier les partis. Exécutions déjà de civils par les communistes Khmers Rouges, personne ne dit rien. La famille de Séra vit des jours heureux. Séra rappelle des ouvrages comme Cambodge année zéro. revient sur les années 60. Mais les Rouges sont là comme des poissons dans l’eau, mélangés à la population. Pas nouveau comme tactique, comme les Viets au Vietnam ou le Pathet Lao qui prendra le pouvoir lui aussi au Laos en 1975 toujours en place. Témoignages de journalistes, le Nord Vietnam va tout faite pour réunifier sans états d’âme le pays et inévitablement les pays voisins en seront les victimes. Les partis sont aux commandes, l’individu aux ordres ou éliminé.

On a la sensation que Séra a signé un grand reportage, a mis en lumière les faits, se sert de documents que l’on voit presque bouger. Les retours en arrière dont celui sur la 317e Section de Pierre Schoendoerffer sont nécessaires, importants, comme les Unes des grands hebdos. On est en Asie et la complexité des évènements en est l’image. Séra a le mérite, tout en suivant son propre destin, celui tragique de son père victime des Khmers Rouges, de clarifier, expliquer, montrer. On comprend, on redécouvre, on apprend. Retour sur le Têt, sur ses parents, sa mère française, leur vie au Cambodge, sa naissance. C’est aussi un album de famille avec un émotion véritable. Quel a été le rôle de la France ? Édifiant et pas très courageux. Massacres, déportations, la mise en page, l’iconographie et le dessin s’associent sans fausse note avec une redoutable efficacité bouleversante.

L’Âme au bord des cheveux, Delcourt / Mirages, 24,95 €

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