Ticonderoga, une redécouverte essentielle d’un Pratt oublié

Un monument, une réédition en double album inédit qui va satisfaire tous les fans de Pratt. Avec Ticonderoga on redécouvre le Pratt des années soixante qui travaille avec Hector Oesterheld au scénario comme ce sera aussi le cas pour Ernie Pike. Le scénariste argentin sera porté disparu en 1977 pendant la dictature militaire. Cette sortie de Ticonderoga est en lien direct avec la superbe exposition à Lyon au musée des Confluences, Hugo Pratt, Lignes d’Horizons que Ligne Claire a présenté en détails. Rééditer, pour ne pas dire faire renaître Ticonderoga n’a pas été simple car la plupart des originaux ont disparu. On retrouve deux albums sous custode numérotée, un album à l’italienne composé des strips des débuts des aventures du jeune aventurier pendant la guerre entre Anglais et Français en Amérique et un second album au format classique qui raconte la course vers l’ouest des héros. En réalité ce sont les formats d’origine des années soixante publiés dans le journal Frontera qui ont été scannés et retravaillés ce qui se voit parfois mais n’enlève rien bien au contraire à l’intérêt et à la modernité de cette œuvre méconnue de Pratt pourtant déjà publiée en 1982 aux Humanos.

Ticonderoga Caleb Lee a vieilli. Il se souvient de ses aventures, jeune adolescent qui s’est engagé pour les beaux yeux de la belle Shirley alors que la guerre gronde pour la conquête des nouveaux territoires sur ces terres américaines entre Anglais et Français implantés au Canada. Caleb va rencontrer un jeune coureur des bois, Joe Flint mieux connu sous le nom de Ticonderoga. L’armée anglaise n’écoute pas ses conseils et croit encore à une guerre à l’européenne alors que Français et Indiens Hurons pratiquent guérilla et embuscades. Ticonderoga sauve le jeune Caleb, libère un prisonnier blessé par les Indiens et le groupe est rejoint par le valeureux et légendaire Numokh. Ils vont au devant d’aventures dramatiques poursuivis par les Hurons. Réfugiés dans un relais qui fait auberge, ils vont être assiégés et recueillent un soldat qui a des informations vitales pour les troupes anglaises. Caleb rencontre bientôt celle qui va faire chavirer son cœur, la belle indienne Mowhee.

Ce sont des retrouvailles émouvantes que de pouvoir relire Ticonderoga. José Muñoz signe une postface à la fin du premier tome. Il revient sur le fond même de Ticonderoga, une accumulation en feuilleton de faits de guerres très violents qui sont loins des futurs westerns édifiants. Iroquois, Anglais, Français, Hurons, colons futurs Américains, Pratt a un dessin, on le sait, d’une rare puissance évocatrice, pleine de vie et donc d’un réalisme appuyé. Caleb, le narrateur, fait le choix de l’aventure, de la course vers cet Ouest inconnu et prometteur. Pratt à son habitude croque ses personnages, étudie les Indien, les coiffes ou les uniformes anglais. Caleb traverse le territoire des Delaware, Pratt trace les cartes qu’il insère dans ses pages. Les Français sont les méchants mais peu importe. Le souffle de ces aventures épiques, humaines, dramatiques, est à porter au crédit d’un Hugo Pratt génial, et d’un éditeur qui a fait avec l’aide de passionnés un travail remarquable. Les dossiers dans chaque album sont aussi des sources inépuisables d’informations et de dessins inédits. A noter que Ticonderoga est le nom d’un fort français construit au XVIIIe siècle dans l’état actuel de New-York.

Ticonderoga, Casterman, tirage de 7000 exemplaires numérotés, 49 €

Ticonderoga

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