J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian à Vernon Sullivan

On continue avec Vian, qui signe sous un pseudo, Vernon Sullivan, un polar social qui va faire scandale en 1946. J’irai cracher sur vos tombes sera interdit, circulera un temps sous le manteau, vaudra à Vian un procès. Au départ Vian s’était désigné comme le traducteur de Sullivan. Il faut dire que l’auteur de L’Écume des jours n’y était pas allé de main morte pour retranscrire le racisme, la ségrégation aux USA, comment une vengeance anti-blanc allait pouvoir s’exercer, assez démoniaque, sexuelle et mortelle dans un déchaînement de violence effrénée. Avoir adapté en BD ce roman (aussi porté à l’écran mais bof) qui est inséparable de l’œuvre de Boris Vian est un plus. Morvan au scénario, Rey Macutay, Rafael Ortiz, Scie Tronc au dessin ont fait un travail remarquable qui colle parfaitement avec l’ambiance du roman, du texte quand on l’a lu dans son édition originale.

J'irai cracher sur vos tombes

Buckton, pas une capitale, dans le sud des USA. Lee Anderson y débarque pour reprendre une librairie. Il est blond, blanc de peau, un corps d’athlète, guitariste doué et va s’intégrer très vite à une bande de jeunes en mal de sexe, de Bourbon et de jazz. Il les séduit toutes mais cherche sa proie, celle qu’il va prendre dans ses filets pour se venger de la mort de son jeune frère. Devenu copain avec Dexter, rejeton d’une famille riche, il va grâce à lui avoir accès à l’élite du coin. Lou et Jean Asquith vont devenir ses cibles pour le meilleur d’abord, le pire au delà de tout ensuite.

J'irai cracher sur vos tombes

On va garder quand même en réserve ce qui fait tout le suspense du bouquin encore qu’on sache très vite le pourquoi si ce n’est le comment. C’est Lee Anderson le narrateur comme dans le livre. Rien n’a a été occulté, le dessin est sans équivoque, réaliste mais efficace, et séduisant car tout repose justement sur la séduction comme arme fatale. Machiavélique le Lee et donc Vian dans sa narration non censurée, avec le grain de sable qui va tout faire dérailler, des indices subtils au compte-goutte. Une vraie sensualité très lourde mais qui pour l’époque en 1946 pouvait passer pour une atteinte grave aux bonnes mœurs comme on disait. La Série Noire de Duhamel commençait à faire des siennes avec des auteurs comme Peter Cheyney. Finalement J’irai cracher sur vos tombes n’a pas pris une ride, au contraire, et s’inscrit avec Morvan qui réussit un joli tour de force, dans une vraie légitime modernité. Merci au centenaire de la naissance de Vian même si ce polar l’a gêné ensuite dans sa carrière avec une étiquette lourde parfois à porter. A suivre la sortie de On tuera tous les affreux et Elles se rendent pas compte, deux autres titres de cet excellent Vernon Vian.

J’irai cracher sur vos tombes, Glénat, 19,50 €

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