Interview : Béatrice Merdrignac, après une Jeanne d’Arc passionnante termine un docu BD sur Montpellier

À vingt ans, Jeanne d’Arc est brûlée vive. Il y avait encore à en apprendre sur le parcours épique de cette figure française. La collection Docu BD chez Petit à Petit est un genre qui s’affirme. Céka (Victor l’enfant sauvage) au scénario, Léo Cherel au dessin et Béatrice Merdrignac pour l’étude historique, dressent le portrait émouvant d’une jeune femme qui ira au bout de son destin. En quinze villes qui ont marqué la vie de Jeanne d’Arc, ce Docu BD alterne pages de textes illustrées et récits dessinés. Des repères écrits relancés par la BD, on rebondit et on plonge dans le film sur fond de couleurs très cinématographiques. L’historienne Béatrice Merdrignac a répondu aux questions de ligneclaire sur les différentes étapes de la conception de cette Jeanne passionnante. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

Béatrice Merdrignac
Béatrice Merdrignac. Petit à Petit ©

Béatrice Merdrignac, comment vous êtes-vous lancée sur les traces de Jeanne d’Arc pour ce docu BD ?

Je suis professeur de Lettres et j’ai connu les éditions Petit à Petit en travaillant pour elles sur un docu BD concernant Le Havre ma ville natale. J’ai aussi écrit un ouvrage sur le paquebot France primé par l’Académie de Marine. J’ai fait un docu BD sur l’Armada avec CéKa que je retrouve au scénario pour Jeanne d’Arc.

De l’océan à Jeanne d’Arc, comment s’est fait le passage ?

Je suis passionnée par l’Histoire. Jeanne d’Arc, c’est une proposition de mon éditeur et c’est un personnage que je ne connaissais pas du tout. J’avais des aprioris et savais ce qu’on en sait tous. J’ai lu les spécialistes. J’avais fait un docu BD sur Orléans donc j’avais effleuré le sujet. A partir de là, j’ai retracé son périple de ville en ville à partir de Domrémy jusqu’à Rouen.

Jeanne d’Arc, De Domrémy au bûcher

Quand on lit votre album, on découvre en fait plein de choses sur elle. Vous avez fouillé votre sujet.

Oui mais je me suis plongé dans des auteurs qui en sont les spécialistes comme Philippe Contamine. Je voulais dépoussiérer le personnage et elle m’a scotchée, je l’avoue. C’est une jeune fille qui meurt à 20 ans. Elle avait du culot, du toupet, a réussi à faire bouger les politiques.

Ce qui est étonnant en plus pour l’époque. On peut la rapprocher d’un De Gaulle, la résistance à l’occupant. Dans l’esprit des Français elle a une place à part ?

Oui, tout le monde se l’approprie. C’est un mythe national et international. Elle nourrit les fantasmes religieux, politiques. Elle a été récupérée aussi bien par la Résistance pendant la guerre que l’extrême-droite.

Quand on pense à elle, on se dit que c’est un cas. Elle a une volonté de fer, s’impose. Comment vous expliquez cette réussite incroyable ?

Sa volonté est sans faille, comme vous le dites. C’est une femme donc rabaissée au début à Vaucouleurs, agressée par son père qui menace de la noyer si elle part avec des soldats. Elle surmonte ces obstacles. Elle est habitée par sa foi et elle avait un charisme très fort. Elle stimule les foules. Elle abat les montagnes avec ses convictions. Elle faisait adhérer les gens totalement.

Vous parliez de CéKa pour le scénario et le dessinateur. Un docu BD, c’est un travail à trois, des pages de textes, d’encarts, d’illustrations qui rebondissent et alternent avec des planches.

Avec CéKa on commence par des rencontres, on discute, on fait un chapitrage. On a suivi le chronologique et on a localisé, avec des étapes. Le but est de permettre au lecteur de retracer le périple et d’aller visiter ensuite les villes, voir les musées.

Vous faites aussi remarquer que Jeanne est d’un milieu aisé. Comment elle s’impose réellement auprès du dauphin ?

Effectivement, il fallait revoir le mythe de la bergère que reprend la pastorale chrétienne. Elle réussit à convaincre le dauphin par des révélations. Charles VII était soupçonné d’être bâtard. Ensuite qu’est-ce que Jeanne a pu lui dire si ce n’est qu’il était légitime, choisi par dieu. Ce qu’il attendait inconsciemment.

Autre point, on a pu penser que c’était un homme et elle a été examinée ?

Surtout pour des questions de virginité car elle entendait des voix divines. Et elle aurait pu être une sorcière pour l’époque.

Et son histoire de l’épée cachée à Sainte Catherine que vous racontez ?

C’est plus ambigu. Elle savait l’église de Sainte Catherine de Fierbois était dédiée aux soldats, ils venaient déposer des armes en ex-voto. Donc il y avait des chances qu’on y trouve une épée.

Elle sait donc jouer de la crédulité. Elle est très intelligente.

Vous la voyez très manipulatrice. Je ne le crois pas.

Au nom de sa foi, elle met dans la balance tout ce qu’elle peut. Elle est tacticienne, forte ?

Elle voulait la guerre pour que les Anglais partent de France. C’est pour ça que le roi l’a repoussée à la fin car il voulait négocier au lieu de se battre.

Jeanne a eu pas mal de chances. Les bateaux sur la Loire, les vents qui changent de sens et lui permettent de débarquer.

Elle a beaucoup de sang-froid et a une vision politique avec le choix de Reims pour couronner Charles VII. Idem pour l’anecdote du cerf qui déroute les troupes anglaises dans le bois où ils se cachent.

Vous avez rédigé les encarts, et à partir de là le scénariste en a tiré le texte pour le dessin. Cela a été simple à mettre en place ?

Oui absolument, parce qu’on avait déjà travaillé ensemble. Ce qui a été moins facile a été de se déplacer pour les décors en raison du confinement, aller sur place voir si une partie de tel château existait à l’époque.

Jeanne a de la chance mais pas jusqu’au bout.

Elle aurait pu être sauvée, même se retirer du jeu. Elle est devenue gênante. Elle aurait aussi pu être tuée et a été blessée plusieurs fois en première ligne.

Est-ce qu’elle a été trahie ?

Je ne sais pas. Le roi n’a pas payé sa rançon. Elle s’était rendue comme tout chef noble en pensant qu’elle serait rachetée, habitude courante en ces temps-là.

Il y a des cas douteux autour d’elle comme De La Trémoille ? Vous faites une galerie de traitres en puissance où il y a du monde au balcon.

Oui, mais seul Gilles de Rais a été le seul à vouloir la sauver mais il est arrivé trop tard.

Elle a aussi peut-être été l’instrument des politiques ?

Oui, on l’a envoyé se battre contre les bandes d’écorcheurs, façon aussi de s’en débarrasser.

Jeanne est l’un des personnages les plus mythiques de notre Histoire. Elle a essayé de s’évader plusieurs fois de sa prison.

Avec peut-être une tentative de suicide. On lui a fait très peur avec un simulacre d’exécution. Elle avait signé un document pour accepter se rhabiller en femme et puis on ne sait pas trop pourquoi elle renonce. Est-ce qu’on a essayé de la violer ? A-t-on volé ses habits de femme ? C’est pour cela qu’on la brûle comme apostat non sincère.

Il y a toujours des zones d’ombre aujourd’hui.

Que ce soit pendant et après car les témoignages sont ce qu’ils sont. Mais elle est récupérée très vite comme symbole par Charles VII après sa mort qui arrange quand même pas mal de monde.

Qu’est-ce qu’on en aurait fait ? Elle n’aurait pas pu être un seigneur médiéval.

Peut-être enfermée dans un couvent.

Le dessinateur Léo Chérel lui a donné un visage marquant.

On ne voulait pas un personnage policé. On voulait montrer la vérité, le physique. C’est l’idée de Léo. On savait sa taille par rapport aux mensurations de son armure. Il a trouvé le bon visage.

Et puis il y a l’évêque Cauchon dont on a retenu le nom à son procès. Et Louis XI qui lui voue ensuite un culte.

Oui Cauchon avait été envoyé par les Bourguignons. Louis XI avait connu Jeanne enfant et lui a gardé son attachement. Elle a suscité une ferveur populaire énorme. Des processions ont eu lieu en son honneur très vite après sa mort.

C’est une féministe ? Une héroïne pure et dure ?

Non pas du tout. C’est une femme dans l’Histoire qui a su s’imposer dans un monde d’hommes. Elle dort avec ses compagnons mais jamais sans qu’il n’y ait eu rien entre eux. Ils l’admiraient mais ne la désiraient pas. Elle commence à 13 ans à entendre ses voix. Elle est devenue pour certains le symbole de la France face à l’étranger d’où sa récupération.

Quels autres personnages historiques aimeriez-vous traiter ensuite ? Et qui mériteraient d’intégrer la collection ?

Gilles de Rais sûrement. Bonaparte pourquoi pas, La Montespan. J’aimerais raconter la Guerre de cent ans car c’est compliqué à comprendre. Mais ce serait un sujet plus généraliste. Faire des scénarios de BD prend du temps et c’est un peu différent. J’aime bien le docu BD, un travail d’équipe. L’histoire de l’armée me tente, que ce soit sur le plan architectural, l’évolution des types de guerre. Je fais un docu BD sur Montpellier en deux tomes. Je viendrai travailler chez vous en juin. Le tome 2 couvrira des guerres de religion à nos jours.

Jeanne d’Arc, De Domrémy au bûcher, Éditions Petit à Petit, 18,86 €

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