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S’enfuir, Guy Delisle et la solitude de l’otage

Ce n’était pas évident de rendre compte d’une détention, de la vie solitaire d’un otage, d’un Français enlevé au Caucase en 1997 et qui sera détenu pendant cent onze jours. Guy Delisle l’a pourtant fait. En plus de quatre cents pages. Christophe André travaille pour une ONG. Guy Delisle devait affronter deux difficultés. Rendre lisible ces mois d’absence, sans décor, sans action véritable hormis ce que pensait et faisait au quotidien André et remettre en mémoire le destin oublié aujourd’hui d’un homme qui a su non seulement survivre mais s’évader, se libérer seul, action personnelle qui lui a permis peut-être de se retrouver ensuite plus facilement. Guy Delisle a modifié son trait, découpé ces pages et embarqué ses lecteurs dans un voyage où pas un instant on ne perd le fil de cette aventure hors normes, de cette communion entre l’otage et son narrateur.

Quand on l’enlève Christophe André pense en avoir pour quelques jours ou que c’est une erreur, voire une affaire de fric comme il a les clés du coffre de l’ONG pour laquelle il travaille. Erreur. Il ne parle pas la langue de ses geôliers. Il est confiné dans une pièce, attaché par des menottes avec un rendez-vous quotidien pour sa toilette, les repas. Il n’a pas un livre, un journal, la pièce est nue. On va le photographier, preuve classique qu’il est vivant et qu’on veut l’échanger. Ténardier est celui qui lui apporte à manger. Des planches ferment la fenêtre et André compte les jours sans se tromper, passe en revue les grandes batailles napoléoniennes. Il ne craque pas. Il aura enfin un contact avec ses copains de l’ONG, comprend que c’est un million pour sa libération, s’indigne. Il va changer de prison. Quand il a l’occasion de s’enfuir il le fait, a de la chance et du courage, tombe sur des braves types. Deux jours plus tard il est exfiltré.

Avoir pu faire de cette prise d’otage un récit intelligible mais qui plus est angoissant, prenant, est un tour de force du magicien Delisle. On le savait chroniqueur hors-pair. Il chronique toujours mais en racontant le destin d’un autre, sans apparaître lui-même sur scène, pudique et absent-présent, scribe et metteur en scène des mots d’un autre. Il déroule le fil tenu du témoignage de Christophe André, des petits riens qui forment un tout indissociable et dont il rend toute la force, l’émotion, la peur et l’espoir. S’enfuir est un tournant dans l’œuvre de Guy Delisle et marquera sûrement cette année 2016. Un titre dont on se souviendra.

S’enfuir, Récit d’un otage, Dargaud, 27,50 €

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