Appelés d’Algérie, les oubliés d’une guerre inutile

Quand on parle de guerre d’Algérie, même si on sait que le contingent, les appelés y sont partis se battre contraints et forcés, ce n’est pas pour autant que leur parole est souvent entendue. Ils ont mis longtemps à parler de leur séjour algérien, parfois ils ne le feront jamais. Avec Algériennes, Swann Meralli au scénario et Deloupy au dessin avait parlé chose rare des femmes qui s’étaient battues à côté des hommes pour l’indépendance. Cette fois ce sont des appelés en Algérie que les deux auteurs traitent à travers une fiction historique. Français, pieds-noirs de souche, Algériens, les destins vont se croiser sur fond des 1,5 million jeunes Français qui vont débarquer un beau jour à Alger ou Oran pour faire la guerre, sans avoir choisi quoi que ce soit. On leur a dit l’Algérie c’est la France et il faut la garder, ce dont ils n’ont aucune conscience ne sachant pas souvent où est cette Algérie. 16 000 soldats, appelés ou de carrière, environ sont morts au combat, 8000 dans des accidents divers. Même si le chiffre est difficile à établir 300 à 400 000 Algériens ont été tués. Un album qui permet d’ouvrir les yeux sur une guerre inutile comme la plupart au moment même où l’Histoire balbutie dangereusement en Ukraine.

Deux ados français, dont un originaire d’Algérie et fier de l’être, un match de foot qui tourne mal. Aujourd’hui encore la guerre a passé le relais aux nouvelles générations. Quand Jérôme revient chez lui, il trouve son grand-père en larmes. Il a été appelé en Algérie et pour la première fois va en parler à son petit-fils. De sa lutte contre certains « terroristes ». Il a été concerné en 1955, la France décide après les massacres de 1954 et de Philippeville d’envoyer le contingent épauler les régiments de professionnels rapatriés d’Indochine ou en garnison sur place. L’Algérie compte trois départements plus le Sahara. Le grand-père retrouve ses photos, se souvient de son départ en bateau à Marseille, l’arrivée à Alger où déjà on parle d’attentats, de maintien de l’ordre comme le souligne un certain François Mitterand. Raymond n’est pas immédiatement confronté aux combats, à la peur, à la mort. Routine et ennui d’abord, cohabitation avec les populations arabes. Beaucoup d’appels sont comme le rappelle les auteurs employés administratifs. Mais la guerre les rattrape, metchas incendiées, tortures, exécutions sommaires en représailles de massacres de pieds-noirs. Raymond va voir et commettre le pire. Et ne pas le supporter, ne jamais oublier.

Appelés d'Algérie

Raymond comme la plupart de ceux qui ont « fait » l’Algérie n’en parlera pas. Appelés et même professionnels parfois. Deloupy et Meralli font un condensé très réaliste, documenté mais extrême pour pouvoir en dire le plus possible. Il faut aussi bien se dire que la guerre d’Algérie après 1962, comme en fait la plupart des conflits coloniaux postérieurs à 1945 n’étaient qu’évoqués encore en 1969 et seulement en philo. On voulait oublier, les appelés se sentaient coupables. Voilà pourquoi l’ouvrage est important, et la part romanesque d’amitié permet de mieux adhérer. Soixante ans déjà, il faut se dépêcher de faire acte de mémoire en toute objectivité mais de part et d’autre en ce 60e anniversaire des accords d’Évian le 18 mars 2022.

Appelés d’Algérie, 1954-1962, Marabulles, 17,95 €

Appelés d'Algérie

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