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Les Pieds-Noirs à la mer, chronique d’un drame annoncé

Fred Neidhardt est comme le dit Joann Sfar dans la préface un auteur « qui pousse dans ses limites les plus poétiques et parfois les plus cruelles l’art de pincer sans rire ». Avec Les Pieds-Noirs à la mer (Marabulles), Neidhardt se plonge dans les tourments et les certitudes d’une famille de rapatriés au début des années quatre-vingt.

Dans les années quatre-vingt, la fin de l’Algérie française, le retour « une main devant, une main derrière » n’est pas si vieux. Un million de Français d’Algérie sont revenus en quatre mois, de mars à juillet 1962 à la déclaration d’indépendance, à la fin d’une guerre qui n’a jamais dit son nom. Une vague, un exode voulu par les uns, pas anticipé par les autres. Les Pieds-Noirs se sont adaptés comme ils ont pu, méprisés, sans rien le plus souvent, et repassent en boucle le film d’une fin prévisible panachée des souvenirs d’une vie qui leur semblait de rêve. Rester en Algérie pour les européens, bien que prévu dans les accords d’Evian, n’était pas vraiment au programme par les deux bords.

Daniel a fait une fugue et s’est réfugié chez ses grands-parents, rapatriés qui vivent à Marseille. Le papy était dentiste et s’est installé près d’Alger. Il y épouse, lui le goy, une jeune juive, Louise. Petit à petit, Daniel écoute les confidences, les réactions, le désespoir, les mots qui font mal, la rancune contre De Gaulle et son « Je vous ai compris ». Les massacres de part et d’autre, l’OAS, les attentats, les plaies sont ouvertes à jamais pour la première génération, celle qui n’a jamais connu une autre terre que l’Algérie.

La métropole comme on disait n’attendait pas les rapatriés, nombreux à y débarquer pour la première fois. Gaston Defferre, maire de Marseille, s’était distingué en 1962 par son mépris et son refus de les voir arriver. Michel connaît le racisme ordinaire de sa famille et doit supporter les mots sans appel de ses grands-parents qu’il adore Et pourtant entre Louise qui parle arabe, juive séfarade, et la fiancée kabyle de son cousin, quelle différence ?

Fred Neidhardt a écrit un livre touchant, très vrai. C’est un constat car rien ne fera changer d’idées les grands-parents de Daniel. Cinquante après c’est aux nouvelles générations d’écrire leur histoire, la vraie, hors clichés, haine ou ce mot déplacé de repentance. C’est loin d’être encore le cas. Fred Neidhardt a apporté son témoignage, sa vision juste et honnête d’un de ces drames dont la France a le secret et dont elle sait très mal se soigner.

Les Pieds-Noirs à la mer, MaraBulles, 13,50 €

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