Dans les eaux glacées du calcul égoïste, Buñuel, Dali, Cocteau dans tous leurs états

De Buñuel on retient souvent le film Un Chien andalou avec la scène de l’œil coupé en deux, de Belle de jour avec Deneuve. De Dali, hormis sa soif de notoriété, son talent certes évident mais souvent à but lucratif sous le regard parfois sceptique de Gala. De Cocteau, on parlera de Jean Marais, des Enfants Terribles. Ce sont en fait les trois héros, les trois incontournables que Lancelot Hamelin au scénario et Luc Erbetta ont mis en scène dans cet étonnant, pour ne pas dire désarçonnant album (il y aura deux tomes), Dans les eaux glacées du calcul égoïste. On est à la fin des années vingt et le surréalisme s’agite, ce qui déplait à d’aucuns, inquiète les autres en particulier les adeptes d’un ordre nouveau. Confrontation romanesque ou remise des choses à leur place, Buñuel et Dali veulent tourner un film ensemble, deux vautours prêts à tout où deux génies en mal de reconnaissance ? Il y aura un arbitre, un poilu au masque de cire.

Dans les eaux glacées du calcul égoïste Il a laissé son visage dans les tranchées. Une gueule-cassée qui sert d’espion infiltré au préfet Chiappe, extrémiste notoire, dans les milieux artistiques parisiens. On se réunit chez la comtesse Marie-Laure de Noailles, amoureuse de Cocteau. Buñuel et Dali cherche des capitaux pour tourner un film, L’Age d’or, après le succès du Chien andalou. Buñuel est devenu une valeur, un anti tout, communiste, capitalistes, surréalistes. Mais sachant quand même où est son intérêt. Le poilu défiguré compte les points et a ses informateurs dont un vieux clochard (on dirait l’Épervier dans Masque Rouge) qui croit reconnaitre en lui celui qui l’a sauvé pendant la guerre. On se hait, on s’admire, on couche ensemble, on veut renverser le gouvernement. Place à la droite pure et dure. Cocteau n’est pas dupe. Buñuel et Dali se brouillent. Les De Noailles commande un film à Buñuel. Ce sera donc L’Age d’or qui circulera sous un faux nom, Dans les eaux glacées du calcul égoïste, une phrase du Capital de Marx.

Il y aura deux tomes car ce qui est en jeu c’est ce qui va devenir un scandale dans les années 30, le film L’Âge d’or, interdit par Chiappe et qui va anticiper sur la mort du surréalisme. Lancelot Hamelin, romancier et auteur de théâtre, dont c’est le premier scénario (il y aura bientôt La Mort aux yeux de cristal), trace des portraits au vitriol du milieu intellectuel d’entre deux guerres. Il élimine les faux-fuyants et appuie là où ça fait mal. Des génies, pas vraiment sympathiques, certes mais des hommes ou des femmes avec leurs travers, leurs prétentions ou leur mal être. Finalement c’est le poilu qui tire le mieux son épingle du jeu. Enfin presque car quel homme se cache vraiment sous le masque de cire ? Côté dessin il y a avec Erbetta le trait qui convient parfaitement à l’époque et à l’ambiance, légèreté mais fermeté, violence sous-entendue ou primaire.

Dans les eaux glacées du calcul égoïste, Tome 1, Le bal des matières, Glénat, 17,50 €

Le bal des matières

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