Interview : Vittorio Giardino après avoir bouclé Jonas Fink prépare un Max Fridman

Vittorio Giardino a terminé le cycle mythique de Jonas Fink qui aurait pu devenir l’Arlésienne de Daudet, celle dont on parle toujours que l’on ne voit jamais. Avec Le Libraire de Prague (Casterman), il a amené son héros de l’adolescence à l’âge adulte dans une Tchécoslovaquie communiste, puis libérale et reprise en main par les Soviétiques en 1968, période pendant laquelle se passe l’action de ce dernier tome. Fink n’est pas un héros. Comme le dit Giardino c’est les circonstances qui font l’homme. Vittorio Giardino revient sur Jonas Fink mais aussi sur un prochain Max Fridman qui pourrait bien voir le jour dans un peu plus d’un an. Propos recueillis à Angoulême par Jean-Laurent TRUC.

Vittorio Giardino
Vittorio Giardino à Angoulême. JLT ®

Presque vingt ans, Vittorio Giardino pour que l’on découvre la suite et la fin de Jonas Fink, Le Libraire de Prague. 1994, 1997 pour les deux premiers albums. C’est le XXIe siècle qui a apporté le tome 3, le début du siècle. Heureusement.

En fait, si on commence un album important et long à faire il faut savoir si on pourra le finir. Mais je suis très optimiste de nature. Je peux te dire que j’ai relevé deux défis avant que tu me poses des questions. Le premier c’est que j’ai imaginé une histoire où le temps passe vraiment pour les personnages qui vieillissent. En Italie on appelle cela un roman de « la formation », la vie de quelqu’un sur des années.

Le second, c’est de raconter une histoire où les livres et la littérature a une place importante. Dans la BD en général, il y a des références littéraires mais en arrière plan. Là, dans Fink j’ai choisi un libraire pour pouvoir parler de titres et d’auteurs qui ne sont pas choisis au hasard.

Il y a donc l’environnement politique et c’est une littérature engagée ?

Engagée par la dictature. En Tchécoslovaquie communiste, Kafka était interdit. Les dictatures appréciaient paradoxalement la littérature pour pouvoir la combattre comme un danger. Elle était importante à leurs yeux, une justification de répression. Mes BD avec celles d’autres auteurs ont été interdites en Argentine, en fait toute la BD européenne dérangeait le régime à l’époque.

Jonas Fink Dans Le Libraire on est en 1968, une époque de liberté qui se transforme en reprise en main violente en Tchécoslovaquie. Le Libraire n’a pas qu’une simple trame romanesque mais aussi historique. C’est un mélange.

Je l’ai fait exprès. C’est la vie quotidienne de quelqu’un qui pourrait être moi. Si j’avais vécu à 500km de l’Italie ma vie aurait été différente. Il fallait montrer comment l’Histoire peut déterminer certains destins. Jusqu’à un certain point. On tombe quand même amoureux aussi sous les dictatures. Un exemple, en Italie comme ailleurs on commémore le jour du souvenir la Shoah. On a vu que les jeunes connaissent mal le sujet et cela finit par les ennuyer. Pour garder la mémoire, ce n’est pas de raconter la grande Histoire mais mieux celle d’une vie, celle de mon voisin, d’un ami et ce qui lui arrive. C’est plus facile à comprendre et c’est pour cela que je ne fais pas de BD didactique. Ce n’est pas assez efficace.

Dans le Libraire, c’est le cas de Jonas mais cela rappelle des choses oubliées. Même avec Fridman, ton autre série pendant la guerre d’Espagne, la démarche est un peu la même ?

Fridman est plus compliquée. Les Espagnols de Barcelone disent que dans No Pasaran il y a Barcelone où je n’ai jamais vécu. J’ai fait pareil pour Prague mais j’y suis un touriste. Malgré cela c’est simple. Quand je visite une ville je ne vois pas que les monuments. Je vais au marché, dans les banlieues. Il faut ressentir l’esprit véritable de la ville. Il y a des touristes qui viennent en Italie avec une idée de carte postale. Il faut se promener partout, sortir des lieux archi-connus. Dans Le Libraire il y a une clinique psychiatrique très en avance à l’époque qui n’avait pas de barreaux aux fenêtres. Je l’ai cherchée et elle n’avait pas bougé. C’était fascinant de la retrouver.

Le Libraire de Prague

Question banale, quand on boucle une œuvre comme Jonas Fink qu’as-tu ressenti ?

Tu es le deuxième journaliste aujourd’hui qui me pose cette question. C’est bizarre comme question. J’étais prisonnier de l’ambiance, je continuais à faire des illustrations, je restais dans l’histoire puis peu à peu je me suis éloigné. Ce qui se passe dans la dernière page c’est exactement ce que j’avais imaginé depuis le début. C’est un scoop que je te donne. La fin est inspirée d’un film italien des années 50 peu connu La Longue nuit de 43. Un type revient après la guerre et il reconnait un homme qui aurait été le meurtrier de son père. Mais il ne fait rien.

Max Fridman D’un autre côté je ne suis pas assez détaché mais tout simplement je suis heureux d’être arrivé à le finir. Maintenant j’accompagne le bébé, le livre qui sort au même format qu’en Italie plus petit que les premiers albums 1 et 2 en France. Certains lecteurs l’ont regretté. Et puis le bébé devra vivre tout seul. Mais je suis déjà sur un autre projet.

Voilà un bel enchaînement pour te demander ce que tu vas faire maintenant ?

Oui mais je parle à l’ami ou au journaliste ? (Rires)

J’ai des traces d’une interview il y a quelques années où tu parlais d’un Fridman en Palestine avant la création d’Israël ou pendant Juin 1940.

Ce sera autre chose qui pourrait être une sorte d’expérience. Mais je ne vais pas rentrer dans le détail. J’aurais besoin de deux siècles tellement j’ai d’idées pour Fridman. Oui, je suis bien sur un Fridman aujourd’hui qui pourrait sortir dans un peu plus d’un an. J’ai bien une autre idée mais motus (rires). Malgré les apparences je suis un dessinateur rapide si je n’ai pas à me lancer dans des recherches de documentations importantes.

Max Fridman

Par contre je peux te parler d’un documentaire d’auteurs italiens qui ont décidé de faire un film de 53’ sur Fridman et Fink. J’y suis un peu l’acteur. On a tourné à Barcelone et à Prague. Ce serait pour la TV et il est au montage. Le nom c’est Les Circonstance, celles qui vont avoir une influence sur la vie d’un homme. Il y a mes planches et des acteurs qui récitent les textes. Un détail incroyable, le metteur en scène de ce documentaire a rencontré le directeur du musée de la Guerre d’Espagne dont le père avait tourné à Prague par hasard des scènes inédites de l’invasion soviétique en 1968. Et il y aura dans le documentaire des extraits de ces films. Un hasard étonnant d’avoir trouvé cela à Barcelone.

Donc, Vittorio, il y aura donc bientôt un Fridman ?

C’est un Fridman qui sera hybride (rires). Dans un peu plus d’un an. Tu sais, pour Jonas Fink j’ai eu peur aussi, car est-ce que finir ce livre n’était pas aussi une sorte de fin pour moi ? Au fait dans mes cartes de vœux dessinées chaque année j’avais lancé des signaux au fil des ans et je ne suis pas sûr que tu ais bien tout compris. Regarde les à nouveau en détail (rires).

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