La Route, Manu Larcenet inégalable

Un nouveau Larcenet c’est toujours à priori un évènement. Avec La Route on dira que c’est plus encore, que l’on rejoint une œuvre qui marquera une fois de plus le parcours artistique du plus talentueux auteur du 9e Art. En adaptant le roman de Cormac McCarthy, Manu Larcenet a bâti son propre chemin sans pareille sur cette route prise par un père et un fils dans un monde post-apocalyptique sans pitié, où le genre humain en est revenu à ses instincts les plus primaires. Sauf les deux héros, gentils parmi les méchants. Le dessin est d’une force incroyable, d’une beauté sauvage inégalable, bourré d’émotion que découpage, textes, mise en scène, décors affirment, exultent. Il y a eu Le Rapport de Brodeck et évidemment Blast. La Route s’inscrit dans le même contexte d’excellence et de talent pour Manu Larcenet.

Un monde de poussière, de ruines, de mort, l’apocalypse a eu lieu. Couverts de haillons pour se protéger du froid, un père et un fils, jeune ado, poussent un caddy dans lequel ils ont toutes leurs richesses. Avec des jumelles ils tentent d’éviter les bandes qui rodent, trouver un abri alors que la pluie tombe et colle à la cendre qui recouvre le sol. Quelques allumettes, mais ne pas se signaler par un feu trop visible. Un station service pillée et quelques gouttes de pétrole pour la lampe. Le jeune homme sait que la situation est presque désespérée mais va-t-il mourir ? Son père lui répond, oui un jour mais pas maintenant car ils marchent vers le Sud où il fait chaud. Plus rien à manger, le père semble malade, crache du sang. Le froid est insupportable. Aux abords d’une ville, le père sort son révolver, à la fois son assurance vie et le choix possible d’une mort rapide pour éviter le pire si ils sont pris par des méchants.

La Route

Réfléchis à ce que tu mets dans ta tête parce que ça y restera pour toujours. On oublie ce dont on devrait se souvenir et on se souvient de ce qu’il faudrait oublier. Deux extraits qui sont les bases mêmes de cette épopée poignante, à la recherche d’un monde perdu, qui a disparu et auquel pourtant croit encore le père et le fils. Une route vers un inconnu porteur d’un mince espoir. Une émotion à fleur de pages, une maîtrise et une sincérité de chaque case, on marche à leurs côtés, on s’identifie à eux. Là encore il y a toute la subtilité intelligente de l’art de la narration par Manu Larcenet qui a adopté totalement, enrichi même le roman de McCarthy. Un jeu d’aplats de couleur, des visages torturés, des rencontres, La Route est à prendre absolument avec Larcenet et ses deux compagnons au destin précaire mais si humains.

La Route, Dargaud, 28,50 €, Édition noir et blanc, 39 €

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