Journal inquiet d’Istanbul, Ersin Karabulut témoin du pire

Avec cette facilité qu’on les démocraties européennes à être hypocrite par besoin, on a aujourd’hui une sorte de voile même pas pudique tiré sur ce qui peut se passer en Turquie. Dernièrement est sortie une remarquable biographie sur Erdogan le nouveau sultan qui remettait les pendules à l’heure. Et une autre sur Mustapha Kemal qui redonnait les bases de la volonté de laïcité qu’il avait faite pour le peuple turc. Ersin Karabulut est un dessinateur caricaturiste de presse turc dont on a annoncé, chroniqué déjà les ouvrages comme Contes ordinaires d’une société résignée ou Jusqu’ici tout allait bien. Avec Journal inquiet d’Istanbul c’est à la fois sa vie qu’il raconte depuis son enfance, il est né en 1981, son désir de dessiner, sa famille qui s’y opposera dans un premier temps, la montée en puissance d’abord de l’armée, d’Erdogan, démocrate de façade et anti-laïque de choc. Que deviendra la Turquie qui en prime joue un double jeu avec la Russie ? Un régime de plus en plus islamiste où la liberté de la presse, et pas que, disparaîtra ? Le Journal de Karabulut devrait être lu par tout ceux qui ferment les yeux sur une réalité exportable aussi ailleurs en Europe. Traduction de Didier Pasamonik.

Un adulte qui voit le monde à travers ses yeux d’enfant qui le regarde et se souvient. Ersin est né à Istanbul, en Turquie un pont jeté entre l’Orient et l’Occident, où règne démocratie et laïcité au début des années 80. Des parents instituteurs plutôt de gauche, Ersin a vite la passion de la BD peu connue dans son pays. Il commence à dessiner, décalquer, son père est aussi peintre mais n’arrive pas à vendre ses œuvres. Ersin est un gamin sympa mais déjà autour de lui le radicalisme islamique est présent. On tue, on assassine en Turquie où règne le chaos à la fin des années 70. Gauche contre droite, on croise la mort dans la rue. Le père d’Ersin est concerné pris en otage par des extrémistes de droite pour des affiches. Son meilleur ami est abattu pour ne pas avoir payé la dime à la droite. L’armée prend le pouvoir et fait le ménage. la vie pouvait reprendre.

On suit à la fois Ersin qui grandit et une Turquie qui sombre. Des études parce que ses parents veulent en faire un ingénieur raisonnable, et puis enfin le graphisme, un premier journal alors que la devise est devenue Turc et musulman. Arrive Erdogan petit à petit qui s’impose. Ersin publiera son premier dessin en 1997. Depuis, on l’a dit, il est devenu un auteur reconnu. Sa biographie est un témoignage important, nécessaire. Ce n’est que la première partie avec ce dessin très riche qui le caractérise ou caricature et réalisme s’associent pour le meilleur. De l’humour mais pas résigné, Ersin Karabulut est aussi un combattant de la liberté comme grand nombre de ses consœurs et confrères qu’il ne faut pas ignorer.

Journal inquiet d’Istanbul, Tome 1, Dargaud, 23 €

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