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Petit Pierre, le tournez manège de l’Art Brut

Si on connait le Facteur Cheval, sa maison fabuleuse devenue un haut lieu de l’Art Brut, Petit Pierre et son manège magique n’a pas, au moins pour beaucoup, la même notoriété. En lui consacrant l’album de sa vie, Florence Lebonvallet a donné au toujours envoûtant Daniel Casanave de dessiner le portrait d’un homme d’exception, au cœur et à l’esprit d’une rare beauté alors que son physique l’avait habitué aux pires moqueries. Pierre Avezard méritait d’être reconnu. Les 120 pages de ce Petit Pierre, la mécanique des rêves, sont un vrai délice, un rayon de soleil qui brille d’autant plus qu’il touche, émeut et apporte génie, talent, en toute simplicité, celui d’un homme inspiré tout autant que les deux auteurs, très proches, de l’ouvrage qu’il fait si bon de feuilleter. Les couleurs sont de Claire Champion. On avait rencontré il y a un an Daniel Casanave à Angoulême où il nous avait parlé de Petit Pierre.

Petit Pierre Avezard va à l’école. Il est né en 1909 dans le Loiret. Sa grande sœur, Thérèse, va prendre sous son aile Petit Pierre. Il a eu des soucis à la naissance, handicapé, bossu, un œil fermé et presque muet. Tête de vipère vont le surnommer les gamins du village toujours charitables. Pierre va être envoûté par les maths, la géométrie, le compas, la nappe-monde. Il rêve, voit dans les nuages des pays lointains mais à l’école Pierre souffre. On lui fait garder les vaches. Il se met à tailler le bois, monte un petit moulin, fait un château sur le lac, une auto à pédales pour son petit frère Léon. La famille déménage dans une nouvelle ferme. On y rencontre Paul Hareng, maçon et guérisseur, élève du célèbre abbé Mermet. Petit Pierre a grandi, articule des pantins, invente une harpe dans un bidon d’essence. L’auto, l’avion qui a pris son envol, tout l’inspire mais il est encore la cible d’imbéciles. Il ramasse tout ce qu’il trouve, épaves, vélos rouillés, pneus, ficelles et même pendant la guerre des morceaux d’avions abattus dont il fera ceux de son premier carrousel. Dans sa petite maison il va créer son manège, celui qui le rendra célèbre.

Petit Pierre aura traversé pratiquement tout le XXe siècle, connu toutes ses grandes évolutions, inventions. Il les a restituées, adaptées avec son propre regard, son génie de la mécanique, du mouvement rotatif. Il ajoute des scènes, complète son œuvre dont on apprend ce qu’elle est devenue. Immense et qu’on vient visiter en famille. TGV, Concorde, Petit Pierre fait ronronner son manège magique.

Depuis il est à la Fabuloserie conçue par l’architecte Alain Bourbonnais pour sa collection art-hors-normes. L’Art brut y est roi et le manège de Petit Pierre y est abrité depuis 1989. Un lieu que ce superbe album donnera envie, à coup sûr, de découvrir. Nerval, Jarry, Shelley, Petit Pierre a rejoint la belle cohorte des héros de Casanave. Personne aurait pu, mieux que lui, faire revivre Petit Pierre.

Petit Pierre, La mécanique des rêves, Casterman, 22 €

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