Le Passager du Polarlys, Simenon seul maître à bord

Simenon ce n’est pas que Maigret, heureusement. Auteur prolifique, rapide, intuitif il a signé sous un grand nombre de pseudonymes une des œuvres romanesques les plus importantes du XXe siècle. Pour être honnête, on peut ne pas être séduit à chaque fois par le ton, le mécanisme Simenon. Ou totalement sous son charme, même si le mot n’est pas adéquat. On parlera d’emprise car Simenon manipule, en douceur sans tomber dans la violence en première ligne. José-Louis Bocquet et Christian Cailleaux viennent d’adapter le premier roman dur de Simenon, Le Passager du Polarlys. Pour bien faire et mieux comprendre intentions, démarche de Simenon il faut avant tout lire la remarquable postface de Bocquet pour ensuite embarquer à bord du Polarlys qui sera le théâtre à huis-clos d’une aventure à tiroirs aux personnages à multiples facettes. Peux-t-on parle de polar ? Difficile, on dira que c’est un Simenon dans lequel un meurtrier est monté à bord et que le commandant, son navire, vont être les témoins d’une affaire à la fois machiavélique et d’une simplicité unique en fait qui force l’admiration pour le génie naturel de conteur de l’auteur.

Le Passager du Polarlys

Montparnasse, 1930, La Coupole, on boit, on danses et les jeunes filles de province se brûlent les ailes. Marie Baron intègre une bande de fêtards, tombe sous l’emprise de Rolf. Drogue, overdose, Marie meurt, la police enquête sur le propriétaire de l’appartement, Feinstein. A Hambourg le Polarlys se prépare à lever l’ancre mais le commandant Petersen sent que cette fois le voyage vers le Grand Nord sera compliqué. Les mauvais présages s’accumulent. Un nouvel officier monte à bord, Vriens. Un marin qui sort de prison, Krull a été embauché pour la soute. Des passagers arrivent et se présentent au diner. La belle Katia Storm, un directeur de mines, un ingénieur allemand. Manque à l’appel Ernst Ericksen qui a disparu. Arrive aussi un policier mais pas pour raison professionnelle, Von Sternberg de Hambourg. Le voyage se déroule alors qu’on cherche toujours Ericksen et que le corps du policier est découvert, tué dans sa cabine. A ses côtés des journaux qui relatent la mort de Marie Baron. Mais quel rapport entre les deux meurtres ? Une alerte retentit, un homme aurait sauté à la mer. Vriens assure que c’est Ericksen. La police constate mais ne peut aller plus loin et le bateau reprend sa route. Le commandant s’aperçoit que Katia et Vriens sont très proches.

Une maille à l’endroit, une maille à l’envers. C’est un peu ça Simenon, du tricotage à un rythme soutenu, le sien qui finit par faire une tapisserie narrative, ne s’engage pas et va vers des solutions inattendues que les personnages trouvent seuls. On pensera à Agatha bien sûr, même époque mais nettement moins littéraire. Psychologie, ligne rouge, étrange vous avez dit étrange ? José-Louis Bocquet a fait acte de metteur en scène brillant car ce n’était pas gagné d’adapter ce que Simenon considérait comme une vraie œuvre littéraire et pas du commercial. On ajoutera que Christian Cailleaux était le choix du roi pour ce huis-clos maritime aux couleurs qui jouent les premiers rôles, le trait qui affirme l’ambiguïté voulue de ces destins qui naviguent ensemble. Un grand moment qui mérite qu’on s’y arrête.

Simenon, Le passager du Polarlys, Dargaud, 20,50 €

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