A la veille d’Angoulême : 2012, une année de plus à la hausse pour le nombre d’albums publiés mais la prudence est de rigueur

Titeuf à la folie
En tête des ventes, Titeuf, une valeur très sûre.

Comme chaque année le journaliste Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée),  avec  Manuel Picaud pour l’édition numérique et les festivals, Marc Carlot pour les sites Internet consacrés au 9e art, Raphaëlla Barré pour les blogs bandes dessinées et Ariel Herbez pour les parutions suisses, a mis à jour la production 2012. Un remarquable travail, complet et précis, qui est devenu au fil des ans une référence. A la veille du festival d’Angoulême, voici une grande partie de ses conclusions qui montrent que la BD continue sur un rythme de production élevé. Jusqu’à quand ? Cela est une autre histoire :
Dans un contexte difficile et morose, tant sur le plan économique (où les parts de marchés sont de plus en plus dures à maintenir et à conquérir) que social (où les relations entre auteurs et éditeurs n’ont jamais été aussi tendues), la production d’albums de bande dessinée a augmenté pour la 17e année consécutive. Les acteurs du 9e art sont donc toujours aussi dynamiques et continuent de proposer une offre abondante et diversifiée, mais cette prolifération de nouveautés, destinées à un public atomisé, rend plus compliquée la gestion des stocks et la visibilité des albums en librairie. Inquiétude, vigilance et prudence sont de mise ! D’autant plus que, dans cette situation éditoriale confuse, les locomotives du secteur ont du mal à rencontrer leur public et les tentatives de transfert vers les nouveaux supports numériques ne sont pas encore à maturité.

Production

Pour satisfaire un public de plus en plus atomisé, l’offre de bande dessinée connaît une nouvelle progression : 5 565 livres de bande dessinée ont été publiés en 2012 – soit une augmentation de +4,28% par rapport à 2011 – dont 4 109 strictes nouveautés.

Édition

Le marché est fortement polarisé : 4 groupes dominent la production et l’activité du secteur avec 44,87% de la production, alors que 326 éditeurs ont publié des bandes dessinées en 2012 (contre 316 en 2011).
Cette profusion d’albums de toutes sortes est le fait de 326 éditeurs (soit 16 de plus qu’en 2011 où ils étaient 310) et plus particulièrement des 16 plus puissants qui ont publié, en 2012, 3 999 ouvrages – soit 71,86% du secteur (contre 3702 et 69,5% en 2011) -, dont 3 015 strictes nouveautés (2 766en 2011). À elles toutes, les structures de moindre importance totalisent 1 566 ouvrages – soit 28,14% du secteur (contre 1 675 titres et 31,44% en 2011) –dont 1 094 véritables nouvelles parutions(1 061 l’an passé).

4 groupes dominent encore l’activité du secteur, assurant, à eux seuls, 44,87% de la production :

  • celui de Guy Delcourt est toujours, sur le plan de la bande dessinée, le plus gros producteur d’albums avec 906 titres – soit 16,28% de la production annuelle – (840 et 15,77% en 2011) et, en termes de chiffre d’affaires, le 2e plus important groupe éditorial. La maison mère a publié 539 opus – soit 9,69% (ses labels mangas, via Akata et Tonkam, compris) : encore plus que l’an passé où l’on en dénombrait 476 (8,94%). Ses récentes filiales Soleil, Soleil Manga et Quadrants ont  quant-à-elles, stabilisé leur production avec 367 albums – soit 6,59% (contre 364 et 6,83% en 2011).
  • le groupe Média-Participations est encore le plus important sur le plan économique, mais n’est qu’en 2e position sur le plan de la production : 783 titres ont été publiés sous ses filiales Dargaud, Dargaud Benelux, Kana, Le Lombard, Dupuis, Graton, Blake et Mortimer, Lucky Comics, Fleurus/Édifa/Mame, Mediatoon Publishing, Huginn & Muninn et son nouveau département comics Urban Comics (en partenariat avec le groupe américain DC Comics) – soit 14,07% de la production (contre 775 et 14,55% l’année passée).
  • le groupe Glénat demeure le 3e éditeur du secteur, tant sur le plan économique que de la production, avec 478 titres – soit 8,59% (contre 469 et 8,8% en 2011) – publiés sous son propre label ou ceux de ses filiales Comics, Disney, Mangas, Treize Étrange et Vents d’Ouest, mais aussi Drugstore abandonné en cours d’année.
  • le groupe Gallimard, en ayant racheté le groupe Flammarion, hérite des labels BD Casterman, KSTR, AUDIE/Fluide glacial et de 50% de Jungle ! (qui se rajoutent à ses filiales Denoël Graphic et Futuropolis dont le groupe d’Antoine Gallimard a repris 100% des parts), et devient ainsi le 4e éditeur en termes de chiffre d’affaires et de production, avec 330 titres en 2011 – soit 5,93% (contre 303 et 5,8% l’année passée).

Derrière ces 4 leaders, 12 groupes au poids économique non négligeable confortent leurs positions : Panini avec 265 comics et mangas– soit 4,76% (265 et 4,97% en 2011), les filiales bande dessinée d’Hachette Livre avec 212 titressoit 3,81% de la production (contre 185 et 3,47% en 2011) – par l’intermédiaire d’Albert-René, Pika, Marabout, Lattès, Chêne et L.G.F., Kazé Manga avec 198 mangas – soit 3,56% (188 et 3,53% en 2011), Bamboo avec 155 titres – soit 2,78% (contre 135 et 2,53% en 2011), Taïfu avec 108 mangas – soit 1,94% (85 et 1,59% en 2011), Ki-oon avec 105 mangas – soit 1,89% (88 et 1,65% en 2011), Clair de Lune avec 103 titres – soit 1,85% (98 et 1,84% en 2011), le groupe Éditis et ses filiales Kurokawa, First, Fleuve noir, Hors Collection et Pocket, avec 92 titres – soit 1,65% (101 et 1,9% en 2011), Ankama avec 85 divers albums – soit 1,53% (83 et 1,56% en 2011), Les Humanoïdes associés avec 71 livres – soit 1,27% (72 et 1,35% en 2011), 12 bis avec 54 titres – soit 0,97% (65 et 1,22% en 2011) et Paquet avec 47 opus – soit 0,84% (50 et 0,93% en 2011).

Cette concentration de l’édition laisse peu de place aux autres entreprises.

La visibilité en librairies est d’autant plus difficile à assurer que la filière du livre est en pleine mutation (les achats sur Internet, par exemple, ne cessent d’augmenter) et que l’accès aux 12 principaux diffuseurs ou distributeurs, lesquels permettent une mise en place efficace, est souvent compliqué.D’ailleurs, la plupart des « gros » éditeurs possèdent leur propre société de diffusion et de distribution : Média Diffusion/MDS pour Média-Participations, la Sodis et le Centre de Diffusion de l’Édition/CDE pour Gallimard, Interforum pour Éditis et Volumen pour La Martinière : Delsol pour Delcourt ou Glénat Diffusion pour Glénat sont distribués par Hachette, le leader de cette profession. Les « petites » structures, elles, travaillent avec des diffuseurs-distributeurs comme Harmonia Mundi, Les Belles Lettres ou Makassar aux forces de vente plus limitées.

Largo Winch 18
Dans le trio de tête Largo Winch.

Évaluation

Alors que le secteur résiste plutôt bien dans un contexte économique difficile, le tirage des 89 titres ayant bénéficié des plus fortes mises en place est en baisse.
Ceci dit, comme dans toutes les autres industries culturelles, le marché tourne essentiellement autour de quelques noms : 89 séries ou œuvres indépendantes d’auteurs bien installés ont été tirées à plus de 50 000 ex. en 2011 (moins que l’an passé où l’on en avait comptabilisé 10 de plus) et réalisent l’essentiel du chiffre sur ce secteur. En 2012, 78 d’entre elles appartiennent au domaine franco-belge et leur fonds représente, environ, 60% du chiffre d’affaires des principaux éditeurs qui nous ont communiqué les chiffres de tirage suivants :

  • 1 000 000 d’exemplaires pour le tome 13 de Titeuf par Zep (éditions Glénat).
  • 450 000 ex. pour le 5ème Lucky Luke par Daniel Pennac, Tonino Benacquista et Achdé (Lucky Comics).
  • 440 000 ex. pour le tome 18 de Largo Winch par Jean Van Hamme et Philippe Francq (Dupuis).
  • 440 000 ex. pour le tome 21 de Blake et Mortimer par Yves Sente et André Juillard (Blake et Mortimer).
  • 350 000 ex. pour le tome 21 de XIII par Yves Sente et Iouri Jigounov (Dargaud Benelux).
  • 250 000 ex. pour le tome 17 du Chat par Philippe Geluck (Casterman).
  • 250 000 ex. pour le tome 13 de Kid Paddle par Midam (Mad Fabrik).
  • 250 000 ex. pour le tome 6 de Lou ! par Julien Neel (Glénat).
  • 240 000 ex. pour le tome 16 du Petit Spirou par Tome et Janry (Dupuis).
  • 200 000 ex. pour le tome 9 des Blagues de Toto par Thierry Coppée (Delcourt).

Traduction

Le marché francophone est toujours l’un des plus ouverts au monde extérieur puisque 2 234 nouvelles bandes dessinées ont été traduites en 2012 – dont 1 586 proviennent d’Asie et 448 des États-Unis -, soit 191 de plus que l’année passée…

Réédition

1 051 nouvelles éditions ou intégrales, de plus en plus qualitatives, permettent d’alimenter un secteur patrimonial qui se porte plutôt bien ; il y en avait eu 1 058 l’an passé.

Prépublication

En 2012, on trouve en kiosque, au niveau de la bande dessinée, 77 revues spécialisées et 10 séries de fascicules.

Création

Sur le territoire francophone européen, 1 951 auteurs ont publié au moins un album en 2012. Selon les critères retenus depuis 10 ans (cf. infra), on peut estimer que 1 510 auteurs réussissent encore à vivre, souvent difficilement, de la création de bande dessinée.

Information

On recense, en 2012, 11revues papier et 34 sites spécialisés dans l’information et la critique de bande dessinée.

Mutation

L’apparition des revues de bandes dessinées numériques offre de nouvelles pistes, mais le développement du 9e art sur les supports digitaux est encore très faible !

Adaptation

Les œuvres du 9e art sont, cette année encore, un réservoir conséquent pour les autres médias, et inversement…

Manifestation

Avec 489 festivals, salons ou bourses organisés sur le territoire francophone européen en 2012, les événements autour de la BD continuent de se développer, particulièrement en France.

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