Albums

L’odeur des pins, on ne savait pas en Allemagne nazie

Il fallait bien plus de 200 pages pour raconter vie et destin d’une famille allemande sur trois générations, de 1933 à nos jours dont les douze années les pires du XXe siècle. L’odeur des pins de Bianca Schaalburg (dont c’est le premier roman graphique) c’est aussi l’après guerre, l’Est, le Mur qui tombera, la réunification. Mais c’est surtout un constat, celui d’une rare ambiguïté, « on ne savait pas, ni pour les camps, ni pour la Shoah par balles, ou autre ». Les nazis n’étaient pas une poignée, 8,5 millions d’Allemands ont été inscrits au parti qui a vu ses débuts dès les années 20. Un héritage lourd et c’est justement comme cela que commence cet état état des lieux, par une armoire léguée à Bianca en 2004 par sa grand-mère, point de départ de cette saga familiale dramatique et objective.

Une armoire offerte comme cadeau de mariage en 1933, année où Hitler devient chancelier du Reich. On est à Berlin et c’est l’autrice aidée par son fils qui raconte. Avec espoir, pour ses enfants. Retour en 1974, visite chez son arrière-grand-mère et sa grand-mère, les pins sentent bon. Elle a six ans. Sa mère est née en 1939 quand la guerre éclate. Heinrich Schott est son grand-père, va à la plage au lac de Wannsee ou Heydrich signera la solution finale plus tard. Heinrich est prothésiste dentaire. Modèle à l’époque, la famille Goebbels, ministre de la propagande qui fera en 1945 tuer ses enfants et se suicidera avec sa femme. Déjà les lois empêchent les Juifs allemands d’exercer, médecins compris. Heinrich est au parti depuis 1926. La guerre devient européenne puis mondiale en 1942. 2018, Bianca continue ses recherches, décortique le passé, découvre qu’il a aussi était SA. Qu’a-t-il fait à Riga ? En 1979, la grand-mère ne se souvient de rien. Holocauste tu dis ? Elle ne connaissait pas de Juifs, n’a appris que beaucoup plus tard ce qu’Hitler (tout seul ?) avait fait. Bianca va chercher les pavés de mémoire qui portent les noms des Juifs déportés devant leur ancien domicile. Qui étaient-ils ces voisins de sa famille ?

On sent l’émotion de l’autrice car elle est face à un non-dit qui a submergé l’Allemagne et persiste. Les époques vont se répondre avec des fonds de couleur différente et Bianca les parcourt. Il y a évidemment une logique historique. 1945, l’Allemagne coupée en deux, les zones d’occupation alliés, le poids de l’URSS, du communisme, la peur d’une autre guerre mondiale, le blocus de Berlin, le Mur. Mais il y a aussi la réalité de la complicité avouée du peuple allemand ou au mieux si l’on peut dire sa passivité. A l’image de la grande majorité des Français avec Vichy et Pétain. Bianca Schaalburg a signé un ouvrage authentique qui se lit d’une traite et pose des bases indéniables, tout en ne jugeant pas mais en n’ignorant rien, en montrant comment on peut fermer les yeux, et évoluer vers d’autres mondes avec bonne conscience. Et si c’était à refaire ?

L’odeur des pins, Ma famille est ses secrets, Éditions l’Agrume, 26 €

Partager

Articles récents

La Comédie du Livre avec 10 jours en mai pour sa 39e édition 2024 à Montpellier

On ne la présente plus ou presque. Créée en 1986, le temps passe, La Comédie du…

10 mai 2024

La Diplomatie du ping-pong, une petite histoire de petite balle pour grande Histoire

L'histoire, petite ou grande a parfois des raccourcis étonnants. Il faudra un jeune joueur américain…

10 mai 2024

Un sixième Astérix live avec STUDIOCANAL, c’est parti

STUDIOCANAL et les Éditions Albert René annoncent la signature d’un accord exclusif de développement pour…

9 mai 2024

Terra Animalia, co-habitation ou évolution ?

Les animaux devenus seuls maîtres à bord de la Terre depuis son évacuation par les…

9 mai 2024

La Source Tome 2, conflits internes

Retour à La Source pour un tome 2 final, le clan du train. On retrouve…

8 mai 2024

Le Gigot du dimanche, secret de famille

Scène de vie à la française avec Le Gigot du dimanche, réjouissante réunion familiale connue…

8 mai 2024