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Oken, languissante balade taïwanaise

Il vaut mieux de temps à autre, quand on est journaliste, ne pas obligatoirement écouter ses confrères surtout quand ils montent au pinacle un album que l’on n’a pas encore lu. L’effet produit est souvent contraire, et plus ou moins objectif. On pourrait parler d’influence négative involontaire ? C’est exactement ce qu’un rédacteur en chef d’un quotidien a pu ressentir souvent quand on lui amenait l’article, le reportage ou l’interview étiqueté comme étant celui du siècle d’après les messagers. En quelques dizaines d’années de pratique, on a pu en lire. Reste que oui, dans le lot il y avait des merveilles évidemment. Donc voici Oken d’après Yang Mu avec la participation de Loo Hui Phang au scénario et donc signé par Shih-hung Wu brillant auteur taïwanais. C’est l’adaptation d’un classique de la littérature taïwanaise qui a connu non pas l’occupation japonaise de Taïwan mais l’assimilation, l’intégration de l’île au Japon, langue, culture, religion. Qui sera rendue à la république de Chine de Tchang Kai Chek en 1945 (pas un tendre non plus) puis deviendra le dernier bastion des nationalistes chassés et battus par Mao en 1949. A noter que sur ces points l’album permet de bien remettre les pendules à l’heure à un moment où l’actualité concernant Taïwan et la Chine est sur le fil d’un rasoir très affuté et dangereux. Owen surnom de Yang Mu est un petit garçon qui suit sa famille à Taïwan sur le chemin de l’exode à la fin de la guerre. C’est son destin que l’on va suivre tout au long des pages.

Bombardements US sur Taïwan sur Hualien la ville natale de Owen où les jeunes ne parlent que le japonais. Dans le train le petit garçon interroge ses parents. Son père possède une imprimerie. Un gamin inspiré par le beau. Mais après le train il faut marcher, grimper, avec sa maman qui porte un bébé dans son dos. Petit village entouré de collines, jeux d’enfants avec bille et buffle, un étrange personnage qui troque la nourriture contre des cigarettes. Dans la brume colorée Owen le suit. Une fois le Japon battu, Owen retourne en ville, la guerre avait laissé des vestiges détruits après tant d’années d’occupation. Il est un solitaire contemplatif, esthète envahi par la beauté des paysages. Il a un chien pour copain, Da-Yuan, se confronte à ce qu’a été la japonisation de Taïwan. Rencontre un sculpteur de statues des dieux. École, mélanges des langues et la jolie Xiao-Yu venue de Chine.

Le dessin, les tableaux pleines pages sont d’une rare beauté. Le mélange des noirs, de l’aquarelle, du trait est superbe. L’histoire est un chronique plus didactique que romanesque. Owen est sympathique poète, tendre. L’environnement politique et historique est permanent, violent, mais bien réel. Amitié, confiance et pourtant il y a par moment de l’ennui, une certaine platitude. Itinéraire chaotique mais esthétiquement, graphiquement recherché et séduisant, il manque pourtant quelque chose à ce destin qui quoiqu’il en soit sera hors normes malgré tout et en fait décalé. Tout en ayant livré un très bel ouvrage.

Oken, Combats et rêveries d’un poète taïwanais, Le Lombard, 23,50 €

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