L’Enfer est vide et pas pavé de bonnes intentions

L’Enfer est vide et tous les démons sont ici, un titre mais une citation de William Shakespeare. Avec le procès d’Eichmann en Israël et sa condamnation à la pendaison, le pays était revenu exceptionnellement sur l’abolition de la peine de mort qui datait de 1954. C’est toute la question posée par Marie Bardiaux-Vaïente dans ce brillant et très documenté ouvrage : à partir finalement de quel crime peux-t-on revenir sur un choix qui est par essence définitif, constitutionnel, bannir la mort en tant que peine judiciaire ? Elle a donc démonté le mécanisme qui s’est mis en place en 1960 après l’enlèvement d’Eichmann à l’étranger, déjà illégal si l’on peut dire mais compréhensible, son procès en Israël où se sont affrontés toutes les tendances, la mort décidée et la sentence appliquée. On sait mal ou de moins en moins bien ce qui s’est passé à cette occasion. D’Eichmann, on retiendra qu’un des plus actifs criminels nazis, architecte majeur sans états d’âme de la Shoah a payé quoiqu’il en soit ses crimes et surtout a pu être entendu comme témoin, laisser une trace avec l’enregistrement de son procès comme ce sera le cas avec Klaus Barbie en France où, lui, ne risquait pas que la peine de mort abolie soit de nouveau effective. Malo Kerfriden au dessin est dans le ton, juste, réaliste et émouvant de sincérité. Les deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble L’Abolition et le combat historique de Badinter.

L'Enfer est vide, tous les démons sont ici

Adolf Eichmann, annonce Ben Gourion, est en Israël. Les services secrets l’ont ex-filtré. On va le juger et la presse internationale arrive en nombre pour le procès. Hannah Arendt est une signature reconnue. Jeanne Amelot est débutante et vient pour L’Express. Elle va devoir se faire accepter par Abecassis pour intégrer la rédaction d’un journal local. Mais Jeanne n’est pas juive. Est-elle venue pour juger Israël ? Ce qu’elle veut c’est couvrir les débats car va se tenir avec Eichmann à Jérusalem un procès historique. Tout le procès sera filmé, celui de l’un des plus grands génocidaires du siècle. 11 avril 1961, le procès commence, héritier comme le dit la cour de ceux de Nuremberg. Toute l’histoire de la Shoah va pouvoir être refaite. Les Juifs qui ont été persécutés ont désormais un état et le droit de juger leurs bourreaux.

L'Enfer est vide, tous les démons sont ici

On revient évidemment sur la conférence de Wannsee qui va planifier, organiser la Shoah, l’extermination des Juifs déportés dans les camps. Heydrich est le cerveau, Eichmann un des bras armés qui en prime va centraliser tout ce qui se dira. Tout est repris, toutes les étapes rappelées, mais c’est encore une fois la sentence, la peine qui est l’axe majeur d cet album nécessaire. Témoignages car on est tout juste quinze ans après la guerre, Eichmann parle et bien sûr n’a fait qu’obéir ce qui est vrai pour aussi la grande majorité du peuple allemand. On ne tue pas six millions de personnes à quelques-uns. Alors la mort dans un pays qui l’a abolie, voilà le débat passionnant sans que pour autant on ait le moindre doute sur la légitimité, sur le nécessaire de la sanction. Marie Bardiaux-Vaïente a travaillé de façon remarquable un sujet d’exception, documentaire, fiction partielle et finalement unique sur un plan juridique.

L’Enfer est vide, tous les démons sont ici, Glénat, 19,50 €

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