Interview : Nicolas Juncker avec des Trous de mémoires en Algérie et le 26 avril chez Azimuts à Montpellier, le 22 mars à Brive

Nicolas Juncker après un Général, des généraux avec Boucq sur le 13 mai 1958, l’arrivée au pouvoir de Gaulle, indissociable de la guerre d’Algérie est revenu sur le sujet. La guerre d’Algérie ce sont aussi des Trous de mémoires, une réalité française, des témoignages, sa mise en évidence aujourd’hui, ses conséquences. En 2025 comment parle-t-on de cette tragédie qui n’en finit pas ? Juncker signe un album astucieux saupoudré d’humour mais qui est la chronique vraie franco-française d’une guerre civile et sans fin. On en voit toujours aujourd’hui les conséquences et des relations franco-algériennes qui sont en chute libre. Juncker sera le 26 avril en dédicace chez Azimuts à Montpellier mais avant à la librairie Bulles de papier à Brive le samedi 22 mars à partir de 15h00 jusqu’à 18h00. Propos recueillis par Jean-Laurent TRUC.

NicolasJ JUNCKER-  Gilles Niez / Crystallized Pictures DR

Nicolas Juncker, qu’est ce qui t’a poussé à partir en Algérie ?

Je n’y suis pas parti en fait. Le débat dans l’album est uniquement franco-français. C’est qu’est-ce qu’on fait en France en 2025 de la guerre franco-algérienne. C’est ce qui m’a motivé.

Je vois peut-être ce sujet avec des yeux différents pour avoir vécu enfant en Algérie. L’élément déclencheur pour toi, ton histoire, c’est l’hommage que l’on veut rendre à un photographe célèbre qui a passé une partie de sa vie à prendre des clichés là-bas mais pas de la guerre, des photos plus ethnologiques.

Oui c’est ça, mais je voulais aussi profiter de l’occasion pour bâtir un évènement mémoriel autour de l’Algérie et de tout ce que cela a entraîné. Il y a trois acteurs de la mémoire collective, une historienne, un architecte et un politique pour un musée comme celui qui avait été prévu à Montpellier puis abandonné, tu connais le sujet.

 Effectivement, une histoire complexe, un musée initié par Georges Frêche à l’époque, oublié ensuite par Hollande et mis aux oubliettes par le nouveau maire Philippe Saurel, repris par Delafosse et de nouveau aux oubliettes. On fait à la place un musée d’Art Moderne.

On pourrait dire la même chose de la maison Camus à Aix qui a dérapé. Bisbille entre communauté scientifique, communauté locale qui se sentait dépossédés de leur mémoire, politique qui veut se faire réélire.

Il y a le côté artistique dans ton album, la chargée de mission qui sait que présenter des objets souvenirs en vrac c’est très compliqué. Finalement c’est un sujet d’aujourd’hui mais crédible comme la possibilité de faire un lieu de mémoire sur ce thème.

Oui c’est ce que Aix voulait faire. Il faut une vraie volonté politique. Macron était parti bille en tête avec le rapport Stora et tout est tombé à l’eau. Sans parler des relations actuelles entre la France et l’Algérie. Mais oui c’est possible, un mémorial hommage. Devoir de mémoire, mémoire collective.

On est dans une situation tendue que tu montres aussi. Mais pourquoi on en est à ce stade de vraie violence ? La colonisation a laissé des traces indélébiles ?

Je ne sais pas car ce n’est pas le sujet (même si on ne peut pas ne pas y penser ndlr). Il y a un grand froid actuellement. L’avis sur le Sahara par la France n’a pas arrangé les choses. Sur les relations entre les deux, sur le travail de mémoire cela pourra se faire avec le temps. Il progresse même si je pense qu’on est dans une incompréhension des mémoires.

Les acteurs disparaissent. Est-ce que l’Histoire ne commence pas à ce moment-là ?

C’est plus facile. Mais toujours compliqué selon les communautés. J’ai vu un documentaire fait par un couple mixte fille de pied-noir et algérien Carole Filiu-Mouhali et Ferhat Mouhali qui montrait aussi des officiers français âgés évidemment qui allaient dans des collèges parler de la torture. Pour faire ça ce n’était pas envisageable dans les années 80. Ce qui a aussi beaucoup changé jusqu’aux années 90 c’est qu’on a refusé le statut de victime à tous les participants de la guerre. Les Algériens avaient gagné l’indépendance, les Pieds-Noirs étaient d’affreux colonialistes, les harkis on oubliait et les militaires n’étaient pas d’anciens combattants. Il y a la reconnaissance maintenant que cette guerre a fait des ravages. On l’a accepté et il faut que les communautés se parlent entre elles et partagent leur mémoire.  Cela se fera. Les gens ont tendance à croire que l’Histoire c’est fiable, scientifique. Exemple Marignan 1515, OK on le sait tous mais pourquoi Marignan ? Les historiens commencent à s’affronter s’ils en parlent.

J’ai retrouvé des points vécus. Il était impossible par exemple de faire une exposition à Montpellier sur la guerre d’Algérie il y a encore quelques années. Le poids de cette guerre est incroyable.

Oui tu as raison. Je reste optimiste mais cela ne se fera pas d’un claquement de doigt. Les traces sont lourdes et les souffrances n’ont pas été reconnues pendant des dizaines d’années. Dur à faire passer, une guerre perdue, affreuse par les procédés employés des deux côtés. Il est impossible par exemple de mettre tout le monde d’accord pour choisir une date pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie.

Et De Gaulle l’arrivée, le choix, « Je vous ai compris » ?

Oui et la façon dont l’indépendance s’est faite, balancée, pas accompagné, le grand lâchage à la va-vite.

Les accords d’Evian pas vraiment appliqués. Les témoignages de l’album sont authentiques ?

De Gaulle a voulu s’en débarrasser de l’Algérie. Les témoignages, oui, plus ou moins. Une compilation de choses entendues, vues, des livres, des proches, des amis. Mais je n’ai aucun lien personnel avec l’Algérie.

Ce photographe dans l’album a en fait d’une certaine façon existé, le vrai modèle c’est Marc Garanger.

Entre autres. C’est magnifique ce qu’il a fait des portraits superbes de femmes algériennes. Il y a énormément par contre de photos prises par les appelés en Algérie. A mon époque scolaire on parlait très peu de la guerre d’Algérie, un épisode parmi d’autres de la décolonisation. Vietnam compris. Je suis persuadé que l’Algérie n’est pas un épisode comme un autre. C’est un acte fondateur de la société française contemporaine.

En fait l’Algérie, on l’oublie, avait un statut de départements français, trois au total. Dans l’esprit des Pieds-Noirs et de beaucoup d’autres l’Algérie c’était la France ce qui n’a jamais été le cas de l’Indochine, de la Tunisie, du Maroc. Donc le débat était faussé. On chassait des Français de France pour rentrer en France. Et là-dessus les Algériens ont traversé la Méditerranée et avec une immigration qui a construit un mur de défiance. Et la cause c’est cette guerre.

Donc la situation est tordue. Le malaise est ressenti par toutes les générations même les plus jeunes. Ils voient bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Ne nous racontez plus d’histoires le documentaire est remarquable. On dit que c’est une mémoire compliquée alors que déjà au début des années 70 les bouquins de Yves Courrière sur la guerre d’Algérie sont restés une référence pour tous. Étonnant. En BD il y a eu une vague très mémorielle. Il faut que la fiction se mêle. Ferrandez par exemple est intouchable sur le sujet. Stora disait à une table ronde qu’on a eu des films mais typés, Arcadie pour les Pieds-Noirs, Boisset, Goddard, (un peu) Pierre Schoendoerffer pour l’armée, La Bataille d’Alger ou Les Centurions pour d’autres.

Le héros défunt, le photographe Poaillat, sa superbe maison moderne, Wollaert l’architecte, un maire qui veut devenir député, un sujet sérieux mais il y a de l’humour qui démine le terrain.

C’est le principe. BD comique ou pas ? Glénat voulait une grosse comédie. Pas possible, très sérieux, c’est le choix du Lombard qui finalement a édité l’album.

C’est presque une guerre civile, franco-française.

Oui, il y a tous les éléments. Stora la compare à la guerre de Sécession US entre Nord et Sud. Deux sociétés françaises une en Algérie, l’autre en Métropole qui ne se comprennent pas et ne se parlent pas avec l’envoi des appelés qui vont se faire tuer.

La guerre d’Algérie n’est pas finie.

Elle est toujours présente sous une autre forme avec ses conséquences bien visibles. La repentance c’est très compliqué et on n’ira pas vers ça. Il y a un gros travail au niveau scolaire et consacrer du temps au lycée pour avancer mais ce n’est pas simple. La preuve le musée à Montpellier sans qu’on sache vraiment pourquoi tout a été abandonné. Des pressions ? C’est ce qui m’intéressait, comment en parler en 2025.

Et ensuite ?

Il y aura un album avec Nicolas Barral sur la jeunesse inventive de Churchill, et Dragon Dragon le T3.

Trous de mémoires, Le Lombard, 22,95 €

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