Un trait riche mais ferme, un noir et blanc ensorcelant que rehausse métaphores, avancées surréalistes, une poésie avant-gardiste, une élégance de chaque instant qui sait pourtant manier la violence et inspirer la crainte, l’interrogation, Yann Damezin a mis en portées nerveuses et denses, ses cases et ses pages pour illustrer le destin de Paul Wittgenstein. Maurice Ravel composa pour lui son Concerto pour la main gauche. Amputé en 14, Wittgenstein allait devenir un pianiste atypique accompagné d’une volonté de fer mais aussi d’un caractère fantasque. Un personnage unique en tout point que l’on découvre dans cet album inspiré par sa biographie. Yann Damezin en signe tous les volutes, montre un beau talent scénaristique et graphique introspectif.
Il se raconte Wittgenstein. Le piano berce son enfance de privilégié pourtant perturbée par les drames familiaux. Il perd son père, industriel autrichien fortuné. Côté musique, il est le moins doué et ne doit pas en faite un métier. Pas de son milieu. Il veut arracher ses secrets au piano, et faire carrière. la guerre fait capoter ses projets. Blessé au coude, on l’ampute du bras droit. Prisonnier, il réinvente le piano pour ne s’en servir que de la main gauche. Libéré, il rentre chez lui et réalise ce qu’il a perdu avec son bras droit. Il se livre au piano, se perfectionne et charme son public. Le succès est là mais pour qui ? Pour le pianiste ou le virtuose manchot. Il est riche et on lui écrit des œuvres pour main gauche. Il tombe amoureux d’une femme plus jeune. Enceinte, elle doit avorter. Elle est juive et lui antisémite. Il en trouve une autre, fonde une famille mais ne la montre pas. Le nationalisme et le fascisme sont là. Il les soutient. L’Autriche sera allemande et nazie. Paradoxalement, lui l’antisémite a du sang juif. Il doit fuir à l’étranger.
C’est un destin qui, soit force l’admiration car unique, soit le mépris car basé, certes sur un talent, mais surtout sur une fortune qui permet tout. La musique est son seul vrai espoir, son seul amour total. C’est ce qui le sauve. Pour ce premier album très réussi, Yann Damezin a su accorder son propre instrument, du stylo au pinceau. On plonge dans ce concerto, on en écoute les mouvements, on ne le lâche pas un instant. Le personnage est, à sa façon, séduisant, interpellant. Et l’album un beau moment de vérité.
Concerto pour main gauche, La Boîte à bulles, 17 €
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