Un duo, François Boucq et Nicolas Juncker pour une palette de généraux divers et variés plus un en solo, le Grand Charles, De Gaulle bien sûr, et tout ce petit monde raconte un des évènements forts de notre histoire, la grande, celle de la France, le 13 mai 1958 à Alger alors préfecture d’un département bien français comme d’ailleurs l’Algérie tout entière. Un Général, des Généraux, c’est comment De Gaulle tire les ficelles d’une menace de coup d’état militaire à Alger pour mieux revenir au pouvoir mine de rien et sans se mouiller. Faut dire qu’il avait ses réseaux et qu’il va remporter la mise, être rappelé aux manettes après une traversée du désert depuis 1946, fonder la Ve République et faire élire le Président de la République au suffrage universel. On en est toujours là en 2022. C’est dire qu’on vit toujours dans les traces de ce 13 mai 1958 où tout a basculé mais sans suite comme l’avait espéré par contre certains de ces généraux et la foule des pieds-noirs rassemblés sur le Forum. Ils n’avaient pas tout compris eux.
A Colombey, De Gaulle s’ennuie. A Paris le général Ely prévient le général Petit que le général Salan, figure de l’armée française, prévoit que cela va être la nouba à Alger le 13 mai 1958 contre les négociations prévues entre Pflimlin futur président du conseil (on dirait premier ministre de nos jours) et le FLN algérien qui se bat avec son Armée de Libération nationale pour l’indépendance. Et Salan prévient que l’armée pourrait se ranger du côté des manifestants Algérie française. Faut pas oublier que c’est largement une armée de professionnels, de régiments d’élite, paras ou Légion. Elle a derrière elle, certes pour beaucoup, la Libération de la France en 1944 mais aussi la défaite de Diên Biên Phu, la perte du nord Vietnam et l’évacuation d’Indochine, sans oublier la crise de Suez où victorieuse sur le terrain avec les Anglais, les Yankees et les Popovs lui ont demandé de rentrer direct à la maison fin 1956. Et la maison, c’est l’Algérie où va avoir lieu la bataille d’Alger en 1957 avec la 10e Division parachutiste qui est colère mais douée et le général Massu à sa tête. Les réseaux FLN sont démantelés par l’armée à laquelle on a légalement donné des pouvoirs de police. Entre autres. Le 13 mai Massu est là, Salan aussi. C’est le bordel au GG. Y a aussi Lagaillarde qui fera les barricades en 1960 et mène la danse avec les Gaullistes locaux plus Soustelle arrivé en douce. Alors putsch, révolution, coup d’état ? Massu va copiner, lancer un vive De Gaulle qui change tout, Salan voir des renards, et le grand général se taire. avant de dire oui.
Sur le fond historique tout est vrai, disséqué. Nicolas Juncker a fait un excellent travail de recherche, peaufiné ses dialogues, ses ambiances. François Boucq voulait du détail qui fait mouche, on flirte avec la caricature volontaire car comme l’ont dit à Ligne Claire Boucq et Juncker, le 13 mai 1958 c’est aussi une pantalonnade sérieuse, qui peut mal tourner mais où les guignols font la loi. Alors politique, politiciens, IVe République des partis ( et la Ve idem), armée en mal de reconnaissance et de pouvoir, la Corse « envahie », les paras sur Paris, c’est vraiment la panique ce 13 mai. L’ordre, ce sera De Gaulle qui sait que l’Algérie ne peut rester française, affrontera le putsch en 1961 de Salan, échappera à la mort au Petit-Clamart tiré à vue par l’OAS. Un album qui va faire date, inclassable, génial, improbable, et qui pour la première fois apporte un certain sourire au cœur du drame algérien dont les conséquences sont toujours actuelles, sources de manipulations nombreuses, d’incompréhensions et de récupérations.
A noter qu’une exposition qui présentera les originaux du Général a été inaugurée le 8 février à la galerie Les Arts Dessinés à Paris en présence de François Boucq et de Nicolas Juncker. Elle durera jusqu’au 5 mars 2022 au 19 rue Chapon.
Un Général, des Généraux, Le Lombard, 22,50 €
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