Auteurs révolte suite : après la lettre ouverte la réponse de Frédéric Buxin président du RAAP

Après la publication sur ligneclaire.info de l’article, Auteurs la révolte gronde et la lettre ouverte des auteurs de BD face aux nouvelles règles de cotisation retraite, Frédéric Buxin président de l’IRCE et du  RAAP (Régime des Artistes Auteurs Professionnels), l’organisme concerné, nous a transmis cette mise au point détaillée. Nous la publions dans son intégralité afin d’avoir tous les points de vue sur une question délicate, vitale pour l’avenir du 9e Art. Les réactions sont les bienvenues sous forme de contributions à la fin de l’article.

Lettre aux auteurs de BD par Frédéric Buxin, président de l’IRCE

Chères consœurs, cher confrères,

Cette lettre est un roman à l’intention des auteurs de BD.
Vous êtes 748 à avoir signé une lettre ouverte à madame la ministre de la Culture, pour demander la suspension de la réforme de notre régime de retraite complémentaire. C’est une manifestation qui illustre bien la crise économique que traversent les auteurs, et qui montre bien la capacité qu’ils ont à se mobiliser. Mais attention ! Ne nous trompons pas d’objectif !
D’abord, de quoi parle-t-on ?
James Dans cette lettre, on lit à propos du RAAP : « …cet organisme privé ». Soyons précis. Le RAAP (Régime des Artistes Auteurs Professionnels) est notre régime de retraite complémentaire, au sein de l’IRCEC qui est la caisse nationale de retraite complémentaire des artistes auteurs. Il voisine en effet le RACD (auteurs relevant de la SACD) et le RACL (auteurs relevant de la SACEM). Tout ceci figure dans la brochure qu’accompagnait mon courrier. Nous parlons donc ici d’une de nos caisses de Sécurité sociale. Celle-ci, comme toutes les caisses de sécurité sociale, est de droit privé pour ce qui concerne le statut de son personnel et son fonctionnement. Il n’en demeure pas moins qu’elle exerce une délégation de service public. Il ne s’agit donc pas d’une société privée, avec ses actionnaires fantômes et ses méchant dirigeants. Les dirigeants du RAAP sont, exclusivement, vos confrères professionnels (comme vous l’êtes tous), et vous les avez élus en 2011, ainsi que vous le faites depuis 1961, lorsque fut créée votre caisse de retraite complémentaire. Et comme cet organisme exerce une délégation de service public, son fonctionnement et ses décisions sont encadrés de près par la Direction de la Sécurité sociale.
Qu’attendez-vous des administrateurs de votre caisse de retraite complémentaire, si ce n’est d’assurer une retraite décente à ses cotisants ?
Si tel est bien le cas, il faut considérer les réalités d’aujourd’hui ; celles qui nous ont portés vers une évolution. Actuellement la retraite moyenne versée aux 8 819 retraités du RAAP est à ce jour de 1 540 € annuels, soit 128,33 € par mois. S’agit-il bien d’une retraite ? Sommes-nous dans la dignité ? Car dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner si nombre d’artistes auteurs retraités font aujourd’hui appel à des aides sociales d’urgence. Vous-même, envisagez-vous de vous trouver demain dans cette situation ?
La raison pour laquelle le montant moyen des retraites versées est si bas tient à ce que la grande majorité des auteurs cotise dans la classe dite « spéciale », laquelle a des effets pervers. Elle donne en effet l’impression de s’assurer une retraite à bon compte. De fait, si les cotisations restent d’un montant très raisonnable, les sommes versées aux retraités sont dérisoires.
Le choix de la classe de cotisation, qui est responsable de cet état de fait, se trouve par ailleurs en contradiction avec le droit de la sécurité sociale, selon lequel les cotisations doivent être proportionnelles aux revenus et une retraite en lien avec sa carrière professionnelle. La direction de la Sécurité sociale nous a donc fait savoir que faute de rétablir ce rapport, le RAAP relèverait du régime des assurances privées, et non plus de celui des assurances sociales. Autrement dit : ou nous nous chargions nous-mêmes de modifier les statuts du RAAP, ou bien nous verrions l’état français s’occuper lui-même de l’avenir de notre régime de retraite. C’est dans ce contexte que le conseil d’administration a fait des propositions afin de garantir au mieux les droits et intérêts des auteurs y compris de ceux qui ont cotisé à ce régime depuis des années.
Du point de vue financier, l’avenir de notre régime se présente sous les meilleurs auspices. Aujourd’hui, nous sommes en capacité de garantir le versement des retraites au delà de 2050 ! Pourquoi ? Simplement parce que notre secteur d’activité a élargi son champ d’activité. À la différence, par exemple de l’agriculture, qui a vu ses effectifs diminuer, les artistes auteurs sont de plus en plus nombreux, et surtout ils ont un champ d’action plus large que par le passé. Cela ne veut bien sûr pas dire que chacun gagne sa vie, et nous le savons bien. Mais l’ensemble de l’activité demeure en progression.
Le rôle d’une caisse de retraite consiste bien à conduire une réflexion économique globale, afin de pouvoir garantir aux cotisants d’aujourd’hui, que leur retraite leur sera versée demain.
Pourquoi avoir fixé le taux de cotisation à 8% de la base de cotisations sociales des revenus d’auteur ?
Pour une caisse de retraite, la question se pose de la manière suivante : quelle part de son revenu d’activité doit-elle assurer au cotisant lorsque ce dernier va faire valoir ses droits à la retraite ? La situation générale en France aujourd’hui est que, au moment de la retraite, la majorité de la population perd 50% de son pouvoir d’achat. Nous avons considéré qu’au regard du statut social des artistes auteurs, il était raisonnable que le régime complémentaire garantisse 30% du revenu d’activité. C’est à partir de cette donnée que les calculs ont été établis, prenant en compte un certain nombre d’éléments comme la durée d’activité moyenne de la carrière des artiste auteurs ainsi que le « rendement technique » du point de retraite. Nous arrivons ainsi à un besoin de financement de 8% de la base de cotisations sociales des revenus d’auteur.
8%, mais n’oubliez pas trois choses…
Premier point, les auteurs de livres bénéficient d’une prise en charge à 50% de leurs cotisations, via la Sofia au titre du droit de prêt en bibliothèque. Leur contribution personnelle, celle qu’ils sortiront de leur poche, sera donc de 4% de leurs revenus. Bien loin du « presque un mois de revenus », qui serait la conséquence de la réforme, et qui est mis en avant dans votre lettre à madame la ministre. Un auteur qui gagne 12 000 € par an aura une contribution de 480 euros annuel. Il n’est pas question de dire que ce n’est rien puisque aujourd’hui avec le système actuel cette personne peut cotiser au minimum soit 219 €, mais prétendre que c’est un mois de revenus, c’est faux !
Deuxième point, faut-il le rappeler ? Ces cotisations se déduisent de votre revenu au moment d’établir votre déclaration fiscale annuelle.
Troisième point : en 2014 (pour donner un exemple), la « valeur d’achat » du point de retraite du RAAP est de 36,5 € et la valeur du « point servi » (c’est à dire la somme qui est versée à un retraité pour chaque point acquis lors de sa carrière) est de 8,18 €. Cela veut dire que les auteurs de livres « récupèrent » leurs cotisations au bout de quatre ans et demi de retraite !
Dans la lettre type que beaucoup d’entre vous ont pris la peine de m’adresser, j’ai pu lire « Le nouveau système pénalise ceux qui se sont déjà souciés de leur avenir et qui ont aujourd’hui des crédits ou des plans d’épargne à payer ». Que veut-on faire croire ? Que les auteurs prévoyants auraient investi dans l’immobilier ou des contrats d’assurance retraite auprès d’assureurs privés ? Mais croyez-moi, les auteurs prévoyants et disposant de la trésorerie disponible, ont étudié les conditions exceptionnelles du RAAP, et choisi de cotiser au maximum, c’est à dire en classe D.
Pour ces derniers, la réforme est également une source d’inquiétude dans la mesure où ils s’inquiètent actuellement de ne plus pouvoir cotiser autant dans l’avenir, et c’est donc légitimement que nous avons négocié une période transitoire de 10 ans, pour que ces auteurs qui ont bâti leur projet de retraite sur le système actuel, ne soient pas pénalisés et puissent (s’ils le souhaitent) continuer à cotiser au delà de ce qu’ils devraient payer avec le principe de 8%.
Vous voyez donc que cette réforme n’est pas « soudaine et irréfléchie » comme vous l’écrivez, mais qu’elle résulte d’une réflexion globale sur l’ensemble des pratiques professionnelles, et sur l’économie de la création dans le temps.
Très investi dans mon mandat, j’ai pris la peine de téléphoner à beaucoup d’entre vous, qui m’aviez adressé un mail type. Quel constat ? Majoritairement, vous vivez avec des montants de droits d’auteurs indignes. Vous vous plaignez de la concurrence, du fait que vous soyez trop nombreux à solliciter les éditeurs qui vous font le chantage habituel « un autre accepte pour ce prix là ». Ce sont des choses bien connues par l’ensemble de vos élus qui, contrairement à ce que certains veulent vous faire croire, ne sont pas déconnectés de la réalité. Comme vous, nous vivons de nos créations et de nos droits d’auteur. Mais en quoi cette situation devrait-elle faire renoncer les artistes auteurs à une légitime protection sociale ?
Le RAAP est votre caisse de retraite, ce n’est pas une méchante machine dressée contre les auteurs. C’est un lieu ouvert et jamais nous n’avons refusé de recevoir les organisations professionnelles qui se sont adressées à nous. Bien sûr, aborder des sujets qui impliquent de faire des choix sur plus de 40 ans est complexe et fait appel à de multiples compétences. Bien sûr aussi, nous devons améliorer notre communication. Mais ce n’est pas « annoncer abruptement » une réforme, que de l’évoquer deux ans avant qu’elle ne soit effective pour les cotisants.
En souhaitant que ces informations vous permettront d’aborder votre protection sociale et le rôle de votre caisse de retraite avec un nouveau regard, je vous prie, chères consœurs, chers confrères, auteurs de BD de recevoir mes salutations les meilleures.

Président du RAAP et de l’IRCEC
Frédéric Buxin

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